« Un roman dans la Bosnie d’après-guerre, un road trip à bord d’une Golf sur la route de l’enterrement de la tante Stana. »
Le roman est construit sur une unité de temps et de lieu, deux jours sous la pluie dans un coin perdu de Bosnie.
La narratrice, jeune adulte, mal dans sa peau, fataliste, nous raconte les péripéties qu’elle vient de vivre, depuis le fond d’un fossé où elle est tombée et duquel elle n’a nullement l’intention de se relever, du moins pas avant d’avoir terminé son récit.
De maladresses en malentendus, de goujateries en règlements de compte, les membres d’une famille se retrouvent à l’occasion de l’ enterrement de tante Stana, morte étouffée à cause d’un os de poulet ; un événement familial qu’ils se sentent obligés d’honorer, il y a un héritage à la clé.
Que ce soit la mère de la narratrice, son père, sa tante Mileva, le Pope et la Popesse, Mimi la copine, le cousin Stojan, ils sont tous braques, déjantés, hors de contrôle, drôles, touchants et pourraient être les acteurs d’un film d’Emir Kusturika, Underground ou La vie est un miracle.
L’auteure, mine de rien nous met sous le nez ou sous nos yeux scotchés aux pages du livre, les contradictions et les disfonctionnements administratifs d’un pays à peine sorti du joug communiste, la corruption galopante « Il lança un regard prudent par la fenêtre du véhicule, et quand la portière s’ouvrit, le cousin Stojan déposa doucement le billet sur le siège à côté du policier », le poids des traditions, l’alcoolisme, le manque d’infrastructures flagrant, le patriarcat qui a la vie dure, et de ce point de vue, n’hésite pas à en rajouter sur les qualités des unes et les défauts des autres : « Plus la vie est dure, plus les femmes se battent. Elles rangent, repassent, raccommodent, traînent les sacs du marché, font pousser du persil et des tomates sur le balcon, font fermenter des cornichons, du chou, amidonnent, lavent les vitres et surveillent les ouvriers qui changent la plomberie de la salle de bains. Les hommes, en général, se contentent de déprimer, ou, comme dirait maman « ils se relâchent comme un élastique de vieux slip », et ils ne font rien, à part déblatérer sur la politique, regarder le sport et le journal télévisé, et calculer quel âge ils avaient quand a commencé la guerre qui a détruit leur vie. »
La construction du récit est habile. Par des mises en abyme fréquentes la narratrice s’efface devant l’auteure, comme pour vérifier que le lecteur la suit bien dans les pérégrinations des personnages, leurs loufoqueries qu’elle égrène sur 250 pages. « Qui ça peut bien intéresser ? Sans parler de tous ces personnages peu crédibles et de cette panique autour de l’enterrement. Rien de bien original... »
Le style est alerte, vif, l’histoire galope et les tribulations des personnages tous magnifiques, emportent haut la main l’adhésion du lecteur. Du moins, la mienne.
À noter encore les paroles de l’auteure : « j’ai écrit sur un monde post-apocalyptique dans cette société bosniaque. Dans ce roman, l’humour est comme une distance protectrice ». Cet humour qui dédramatise et permet la complicité, le rire, propre de l’homme disait Rabelais !
Sladjana Nina Perković est née en 1981 en Bosnie-Herzégovine. Elle double ses études de journalisme en Bosnie d’un cursus en communication politique à la Sorbonne, et travaille pour plusieurs médias ex-yougoslaves, The Guardian et l’émission de TV française Échappées belles. Elle est co-lauréate du Prix européen du journalisme 2021. Dans le fossé est son premier roman, traduit par Chloé Billon, détentrice d’un master de traduction littéraire en langues slaves-bosnien, croate, monténégrin, serbe.
Mention spéciale du Prix de littérature de l’Union européenne en 2022
Dans le fossé
Sladjana Nina Perkovic
Éditions Zulma (2024)
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