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“Ressacs” de Clarisse Griffon du Bellay

Yves Izard • sept. 23, 2024

Et revoilà le Radeau de la Méduse qui ressurgit avec son cortège de fantasmes puisqu’on sait que les quinze qui en sont revenus ont mangé de l’homme pour survivre. C’est ce que dit le récit officiel de la tragédie, c’est aussi ce que la mère de Clarisse Griffon du Bellay lui racontait quand elle était petite. Car cette épopée est aussi une histoire de famille, puisque l’ancêtre est l’un des survivants du naufrage. Et que ce Jean Baptiste, depuis 1818, avait corrigé avec minutie ce récit, instaurant la tradition de transmettre son exemplaire ainsi annoté de père en fils.

 

Dans ce récit à la première personne, Clarisse écrit d’abord que, petite fille, cette filiation trop déclinée était pour elle vide sens, jusqu’à ce jour où le livre est apparu sur la table de ses parents, jusqu'à ce déchirement dans ma vie. Brutalement, écrit l’étudiante en dessin, un mal-être à fondu sur moi. Pour conjurer l’angoisse, elle transforme sa chambre de bonne en atelier de sculpture : Je travaillais le plâtre direct. Je dormais dans du plâtre je mangeais du plâtre… cette crise d’adulte à finalement été ma chance. Une fois le livre entre ses mains, le récit s’est incarné en quelque sorte dans sa sculpture, dans le travail de Clarisse, narratrice et auteur. Le bois m’a ouvert un monde dont je ne suis plus jamais sortie. J'ai plongé dans la viande, dans les carcasses de Rungis. La viande comme le cœur de l’arbre mort qu'elle sculpte, découpe comme le font les survivants de La Méduse. Dans une sorte d'analyse de sa démarche, elle écrit en italique, ce rapport à la viande qui me parle de ma propre substance, m’en fait prendre la mesure, touche à l'intimité pure.


En allant jusqu’à reconstruire un radeau, elle réussit à exorciser ses peurs car l’histoire du radeau les contient toutes. La mort me terrifie… comme mon ancêtre… Tout endurer. Se compromettre. Mais surtout ne pas mourir. Tuer s’il le faut, manger de l'homme s’il le faut. C’est aussi cela que son ancêtre a échoué à transmettre, par ce choix étrange que celui des annotations qui révèle par sa forme même le côté incommunicable de cette expérience. Car le récit officiel n'est qu’un récit politique au sens large, qui arrange les faits et protège les autorités. Ce drame n’aurait jamais dû se produire , c’est une suite d'incompétences, d’indifférence, d’oublis de précautions, d’erreurs, dont l’ancêtre n’avait rien pu dire.


Encore fallait-il que ces annotations sortent de la famille, car elles exerçaient sur nous trop de pouvoir…ce sont d'abord les sculptures qui ont emporté avec elles notre histoire dans l'espace public et il a bien fallu se mettre à parler. Les mots sont désormais déposés partout ! je contemple ce livre comme une sculpture qui se termine.


Ressacs

Clarisse Griffon du Bellay

Éditions Maurice Nadeau (2024)

par Marie-Ange Hoffmann 01 nov., 2024
La narratrice et protagoniste de ce roman de Claudio Morandini est une jeune ethnomusicologue qui arrive de la ville à Crottarda, un village de montagne quasiment toujours plongé dans l’obscurité car le soleil n’y brille que très rarement. Le décor d’une histoire noire est déjà planté. Les maisons, les murs et même les rares enseignes et les quelques bancs où personne ne s’assied jamais, ainsi que les panneaux routiers, sont toujours tapissés d’une épaisse mousse sombre . La jeune femme veut étudier les chants mystérieux qu’elle attribue aux bergers—chants qu’elle avait entendus enfant alors qu’elle passait des vacances dans ce village et dont elle garde un souvenir marquant et fascinant. C’est en scientifique qu’elle veut commencer ses recherches— Il faudra enregistrer les appels, les transcrire, analyser leurs composantes sémantiques, les déchiffrer, en tirer un répertoire : une perspective terriblement excitante, pour une chercheuse d’étrangetés musicales comme moi —mais les choses prennent une tout autre tournure de ce qu’elle escomptait et très vite, elle sent que tout lui échappe. Elle est confrontée à la présence d’êtres humains étranges et inquiétants, prenant la forme de monstres qui évoluent dans une ambiance de nature froide, humide et hostile. Elle ne sait si on l’accueille ou bien la rejette. Elle finira par ne plus rien comprendre à ce monde qui oscille entre réalité et illusion, rêve et cauchemar, attraction et rejet, lumière et obscurité. Les contours des personnages de cette communauté fermée sur elle-même sont flous et tordus, se fondant dans la noirceur qui engloutit. En face de ce village se trouve un autre village qui lui est baigné constamment de soleil. D’étranges sentiments d’hostilité sauvage et inexpliquée régissent la vie des deux villages. C’est un monde où la réalité s’englue dans l’absurde et le grotesque. Un piège se referme sur la narratrice dont elle ne peut se libérer, en proie à un sentiment de fascination/répulsion. L’auteur mêle la farce, l’humour, le comique aux aspects dramatiques et tragiques pour nous entraîner de main de maître dans cette fable à la magie fascinante. Ils oscillent, mes pauvres Crottardais, entre le besoin de se cacher et la nécessité de sortir à découvert, de respirer l'air de dehors ; entre l'exigence de s'exprimer et le mutisme, entre un festin des sens, de tous les sens, y compris ceux que nous autres ne savons plus exercer, et la fermeture de tous les orifices dans le silence, dans l'obscurité complète, dans l'absence de contact ; entre un au-dessus qui s'éloigne et devient inatteignable, ou qui écrase et oppresse, et un au-dessous dans lequel s'enfoncer, enfin, et continuer de nourrir du ressentiment et des inquiétudes ; entre humain et non-humain ; entre vivant et non-vivant. Les oscillants, ai-je envie de les appeler. Et je finis par me sentir un peu oscillante moi aussi. Les Oscillants Claudio Morandini Traduit de l’italien par Laura Brignon Éditions Anacharsis (2019)
par Laurent Cachard 01 nov., 2024
Le Bleu du lac , un roman de 2018, est une tragédie grecque. Du moins en a-t-il les apparences, et même les personnages, puisque Viviane Craig, la narratrice, fait le trajet de métro londonien qu’elle a toujours connu pour se rendre chez son amant, James Fletcher, mais elle le fait dans une sorte d’hébétude, en petite robe noire qui la gratte, pour assister à ses obsèques et jouer pour lui, dans l’église de St Anselme et de Ste Cécile —deux martys, dont la patronne des musiciens—à la demande intrigante de son exécuteur testamentaire, l’ Intermezzo de Brahms qu’il a toujours aimé, qui l’a toujours fait bander. Ce pourrait être tristement anodin, mais Viviane et James ont été des amants que rien ne prédestinait, surtout pas la vie maritale et heureuse qu’elle mène avec Sebastian. Qui l’a sortie un jour de son statut de Mme Bovary du piano —un seul disque enregistré vingt ans auparavant—pour la convaincre de remplacer un jour au pied levé le prodige croate Pogorelich à Wigmore, comme, se dit la narratrice, Anthony Hopkins a triomphé en substitute de Sir Laurence Olivier, ou Pavarotti, dans la Bohème . Cette amante ardente de Brahms connaît la gloire soudaine, les sollicitations, et accepte l’invitation à dîner de cet homme atypique, grand vulgarisateur télévisuel de la musique classique à la BBC. Ils deviendront des amants comme seule l’acception classique peut définir : des êtres qui aiment et qui sont aimés en retour. Connaîtront la plénitude dans le secret, jamais la culpabilité. Viviane, dans ce train de la District line, se dit qu’ils incarnaient, puisque c’est le mot, le mythe d’Aristophane— je n’étais plus rien d’autre que sa partie manquante, et lui la mienne —mais elle ne peut rien en dire, à personne, doit se convaincre qu’elle fait le trajet pour un enterrement à la place d’une étreinte, un cercueil à la place de son lit, qu’elle aura passé sa vie à vouloir échapper à un amour trop grand pour eux pour finir emmurée, comme une nouvelle Antigone : je me sens comme une héroïne de tragédie grecque sans avoir l’étoffe pour le rôle . Elle remonte leurs étreintes, son emprise, s’apprête à croiser ceux et celles à qui il aura brisé le cœur ou le nez —il pratiquait la boxe— par sa gueule d’ange et sa candeur, son uppercut impeccable et son sexe majestueux. Mais elle ne les verra pas, et s’en réjouit : faute de place dans le chœur, le piano a été placé à côté de l’orgue, en haut. On ne la verra pas non plus, elle n'aura qu’à laisser la musique ruisseler. Viviane doit vivre la brutalité— j’ai laissé la bombe éclater en moi —d’un deuil qu’elle ne peut dire à personne, qui fait écho à celui qu’elle a vécu dix mois avant, quand sa fille Laura s’est tuée bêtement, en glissant dans sa douche, le 11 septembre 2001, laissant les images se confondre avec une autre tragédie. Elle doit faire face, également, à la honte— l’addition de nos fautes fait aussi le prix d’une vie —quand l’un des drames prend le pli sur l’autre, inconsciemment. Quel sens a le deuil d’une femme mûre pour son amant , quand elle a vécu la plus absolue des tragédies ? La voix de Laura s’efface petit à petit de sa mémoire, concède-t-elle ; si celle de James devait s’éloigner elle aussi, alors je saurai que la vie ne vaut pas d’être vécue . James est mort en provoquant le diable, en n’écoutant pas les apnées du sommeil qui se multipliaient, refusant de masquer son beau visage d’un appareil respiratoire. Combien de temps faut-il pour mourir ainsi, se demande celle qu’on affubla du surnom détesté de Greta Garbo du piano —qui pourtant puisa la force de son jeu et de son mystère dans ses amours clandestines ? Moins longtemps que l’Intermezzo en Si bémol qu’elle doit jouer pour lui. Dire que nos vies se jouent ainsi, en quelques secondes… Comme toujours chez Mattern, les récits s’entremêlent sans qu’il ait besoin de les traiter tous. Au pire, il en fera un autre livre, lui qui aime jongler avec les similitudes, dans les prénoms—Gabriel, le gendre français, qui repart avec Simon, son fils, une fois sa femme disparue—comme dans le jeu des origines, ici l’identité populaires de James, la façon dont il a dû s’en défaire. On note celui in abstentia de Sebastian, son documentaire sur le Septembre noir , ses voyages à Munich et en Israël, dont il est rentré différent , sans qu’on en sache plus. La façon dont il intervient in fine —je n’en dirai rien ici—pour une chute qui redéfinit tout ce qui a été dit auparavant. Cette femme en robe noire, condamnée à un deuil clandestin , se jure qu’elle ira une fois par an là où son amant se recueillait, sur les rives du Lac d’Annecy, retrouver les reflets du Lac bleu de Cézanne, cette toile qu’il chérissait. Qui lui revient quand elle voit celui entre Wimbledon Park et Southfields, dernier aperçu de la nature avant de traverser la Tamise . Et cette question, lancinante : puisque son corps disparaît, son esprit, en suis-je (encore) la gardienne ou n’existe-t-il simplement plus ? Le bleu du lac Jean Mattern Éditions Sabine Wespieser (2018)
par Marie-Ange Hoffmann 01 nov., 2024
Le chien, la neige, un pied : un titre énigmatique qui sent le conte, à la manière de cet auteur pour qui le connaît (voir son dernier roman Choses, bêtes, prodiges ). C’est l’histoire du vieil éleveur de montagne (encore la montagne, le milieu naturel cher à l’auteur), Adelmo Farandola—son nom est à lui seul tout un programme —un clin d’œil à la farandole, danse à la fois de la vie et de la mort—l’homme vit en ermite dans une cabane perdue au fond d’un vallon inhospitalier, caillouteux et aride. Mais quel personnage ! Nous faisons sa connaissance alors qu’il descend au village pour s’approvisionner. Sa mémoire lui joue des tours—il ne se souvient plus y être venu la veille—Communiquer avec ses semblables devient difficile. À force de ne pas parler pendant de longues périodes, il peine à faire sortir les phrases et chaque mot lui semble imprononçable . Il préfère remonter dans son isolement. Le génie de l’auteur réside dans sa manière évocatrice, douce et brutale de nous entraîner dans cette farandole des sens où fusionnent la beauté et la laideur de la nature et des hommes. A l’horizon, la mort, au bout d’un chemin de misère où l’homme se perd lentement mais sûrement dans la folie. L’homme ne sent plus rien depuis un moment. Depuis qu’il a arrêté de se laver il est anesthésié à ses propres odeurs, et les pets qu’il lance la nuit sous les couvertures ne sont que de chaudes caresses, qu’il cultive avec une alimentation adéquate. Et nous faisons connaissance avec un deuxième personnage, le chien, qui surgit soudain sur son chemin et ne le lâche plus, si bien que notre homme bourru et solitaire se laisse adopter par lui ! Parfois le chien ressemble à un appendice de l’homme. Il reste à ses côtés, il se frotte contre son mollet, il ne perd de vue aucun de ses gestes, au point que même un coup de pied d’Adelmo Farandola ne peut pas l’éloigner, car tout en jappant, il fait quelques petits virages—pour jauger la douleur—puis il se remet à se frotter à son compagnon. Jusqu’alors, il menait des monologues, se posant des questions et donnant lui-même les réponses. A présent, c’est avec le chien qu’il s’entretient, et leurs conversations burlesques ne manquent pas d’humour ! Le chien craint de servir de rôti à son compagnon affamé, mais heureusement, celui-ci est protégé par sa crasse qui le nourrit en quelque sorte ! Tous les deux parviennent tant bien que mal à survivre au dur hiver. Et c’est alors qu’apparaît à la fonte des neiges le troisième élément perturbateur : un pied humain gelé ! Mais le pied de qui ? qui l’a mis là ? dans quelles circonstances ? les obsessions de notre homme s’enflamment et virent à la folie. Adelmo Farandola insultait la mère de la Faim, la mère du Froid, et aussi la mère du Sommeil, son ennemi le plus sournois, celui qui se présentait en ami mais qui en réalité voulait seulement que l'homme s'abandonne pour le livrer à la mort. Dans ce récit qui part d’un réalisme cru pour virer au conte fantastique, l’auteur nous parle de solitude, de vie et de mort. Étonnante appendice du roman où l’auteur dévoile sa source d’inspiration. Mais est-ce bien la vérité ? Avec Claudio Morandini, tout est remis en question dans le rythme endiablé de la farandole ! Une seule petite remarque quant au titre français, qui ne restitue pas la ligne mélodique du titre original : Neve, cane, piede , qu’il aurait peut-être fallu garder ? La traduction du roman est par ailleurs remarquable. Le chien, la neige, un pied Claudio Morandini Traduit de l’italien par Laura Brignon Éditions Anacharsis (2017)
par Yves Izard 23 sept., 2024
Et revoilà le Radeau de la Méduse qui ressurgit avec son cortège de fantasmes puisqu’on sait que les quinze qui en sont revenus ont mangé de l’homme pour survivre. C’est ce que dit le récit officiel de la tragédie, c’est aussi ce que la mère de Clarisse Griffon du Bellay lui racontait quand elle était petite. Car cette épopée est aussi une histoire de famille, puisque l’ancêtre est l’un des survivants du naufrage. Et que ce Jean Baptiste, depuis 1818, avait corrigé avec minutie ce récit, instaurant la tradition de transmettre son exemplaire ainsi annoté de père en fils. Dans ce récit à la première personne, Clarisse écrit d’abord que, petite fille, cette filiation trop déclinée était pour elle vide sens , jusqu’à ce jour où le livre est apparu sur la table de ses parents, jusqu'à ce déchirement dans ma vie . Brutalement, écrit l’étudiante en dessin, un mal-être à fondu sur moi . Pour conjurer l’angoisse, elle transforme sa chambre de bonne en atelier de sculpture : Je travaillais le plâtre direct. Je dormais dans du plâtre je mangeais du plâtre… cette crise d’adulte à finalement été ma chance . Une fois le livre entre ses mains, le récit s’est incarné en quelque sorte dans sa sculpture, dans le travail de Clarisse, narratrice et auteur. Le bois m’a ouvert un monde dont je ne suis plus jamais sortie. J'ai plongé dans la viande, dans les carcasses de Rungis. La viande comme le cœur de l’arbre mort qu'elle sculpte, découpe comme le font les survivants de La Méduse. Dans une sorte d'analyse de sa démarche, elle écrit en italique, ce rapport à la viande qui me parle de ma propre substance, m’en fait prendre la mesure, touche à l'intimité pure . En allant jusqu’à reconstruire un radeau, elle réussit à exorciser ses peurs car l’histoire du radeau les contient toutes. La mort me terrifie… comme mon ancêtre… Tout endurer. Se compromettre. Mais surtout ne pas mourir. Tuer s’il le faut, manger de l'homme s’il le faut . C’est aussi cela que son ancêtre a échoué à transmettre, par ce choix étrange que celui des annotations qui révèle par sa forme même le côté incommunicable de cette expérience . Car le récit officiel n'est qu’un récit politique au sens large, qui arrange les faits et protège les autorités. Ce drame n’aurait jamais dû se produire , c’est une suite d'incompétences, d’indifférence, d’oublis de précautions, d’erreurs, dont l’ancêtre n’avait rien pu dire. Encore fallait-il que ces annotations sortent de la famille, car elles exerçaient sur nous trop de pouvoir…ce sont d'abord les sculptures qui ont emporté avec elles notre histoire dans l'espace public et il a bien fallu se mettre à parler . Les mots sont désormais déposés partout ! je contemple ce livre comme une sculpture qui se termine. Ressacs Clarisse Griffon du Bellay Éditions Maurice Nadeau (2024)
par Claude Muslin 23 sept., 2024
« C’est un roman sur la perte et aussi le commencement » explique l’auteur. Et sur le démembrement, la fracture, la reconstruction. L’action se situe de nos jours, dans un village isolé face au Vercors. Hugo, un médecin citadin, las de la ville — le Covid ayant eu un rôle d’accélérateur, de révélateur d’un mal de vivre — décide de fuir Paris et de s’installer en zone rurale. Le hasard le conduit à Saint-Antoine l’Abbaye, près de St-Marcellin. Le hasard encore lui fait retrouver une ex-petite amie, Manon, séparée du père de son fils, Vadim dont elle a la garde. Le hasard fait bien les choses puisque ces deux-là, en manque d’amour, se retrouvent vite, s’installent ensemble dans la maison de Manon et s’accommodent d’une vie simple, proche de la nature. Le village est célèbre pour son ordre hospitalier qui rayonna sur toute l’Europe pendant le Moyen Âge. Les moines médecins soignaient les malades de l’ergotisme, sorte de peste avant la peste. Hugo est donc en terre familière. Étrange coïncidence puisqu’il a déserté la ville pour s’installer sur une terre foulée autrefois par Saint-Antoine l’Egyptien, le saint du désert dont les reliques sont précieusement gardées dans l’abbaye du village. Il ouvre un cabinet, réapprend à vivre, « J’aurais peur désormais de la ville et ses absurdités, sa démesure inhumaine » , soulage les patients plus qu’il ne les soigne : « En médecine, j’ai fait suffisamment de prescriptions pour savoir que l’ordonnance n’apporte pas la guérison. C’est une aide seulement, l’orientation, la possibilité d’un chemin pour le patient » . Et goûte à toutes les joies ordinaires qu’il avait oubliées comme l’alternance des saisons, les sonorités de la campagne, les silences, le bruit du vent, le chant des oiseaux ou le tintement d’une cloche d’église. L’auteur est d’abord musicien, ancien professeur au Conservatoire de Paris ; il a juste remplacé les notes par les mots. C’est dans une atmosphère sereine et calme que se fait un jour la rencontre entre Hugo et un pianiste libanais, Bechara El-Rihani. Elle va troubler sa quiétude nouvelle. Une amitié va naître. Ce musicien, personnage énigmatique, va lui demander l’improbable… Que je ne dévoilerai pas dans cette chronique. Entre la fragilité apparente du pianiste, le décalage entre sa délicatesse et l’âpreté de la vie rurale dans ce village presque montagnard, l’auteur, dans un décor rassurant, fait vibrer des personnages qui lui permettent, lui le mélomane, d’évoquer sa passion pour Pascal Quignard et Tous ses matins du monde, Jodri Savall et Marin Marais, entre autres. Le style est à l’image du roman. Sans fioritures ni effets. Avec juste une dose d’intrigue nécessaire à la construction du récit. Les chapitres Terre, Eau, Air, Feu, Ether donnent le ton. Et puis, belle résonance entre le nom du protagoniste, Hugo, et celui de Saint Hugues, dont la vie est préfacée par son secrétaire, en 1200, et rappelée en épigraphe du récit. Bruno Messina a été musicien intermittent du spectacle, puis professeur d’ethnomusicologie et directeur artistique de festivals. Il est l’auteur d’une biographie de Berlioz (2018) et d’un roman 33 feuillets (2022) chez Actes Sud. Feu saint Antoine Bruno Messina Éditions Actes Sud Collection Un endroit où aller
par Yves Izard 23 sept., 2024
Un homme est en train de couler doucement…au milieu des méduses , il ne se souvient pas de ce qui s’était passé, des images surgissent , des flashes désordonnés, fantasmagoriques. Il perd la notion du temps. Tu vas mourir noyé, voilà ce qui va se passer . Milo Malart commença à couler . C'est à travers ce cauchemar que nous découvrons notre inspecteur — héro de l’œuvre de Aro Sáïnz de la Maza — dans ce roman éponyme où sa situation paraît désespérée. Il y a pourtant quelque chose qui cloche, on n’arrive pas à y croire. Certes Malart reste introuvable, mais ce qui jette le trouble dans le GEHME, Groupe spécial d’homicides de la police de Catalogne, c‘est qu’au large des cotes barcelonaises un somptueux yacht vient d'être découvert dérivant sans équipage. Il traîne au bout de deux filins les cadavres de ses propriétaires. Un couple de la Jet Set locale, qui navigue pourtant en eaux troubles. En fait deux psychopathes à la perversité sans borne, accusés puis relaxés grâce à des preuves falsifiées. Ils hantent les nuits de l’inspecteur Malart qui, à l’insu de sa hiérarchie, les traque depuis des années. Pis, le bateau est saturé de l'ADN de l’inspecteur ! C’est ainsi que débute une course contre la montre pour sauver le soldat Malart, avant que ses ennemis ne le détruise. On a ici un concentré de ce que fait le mieux Aro Sáïnz de la Maza : la faculté donnée à ses personnages se mettre dans la peau d’un autre , à commencer par son Inspecteur le plus révolté d’Espagne, en guerre contre une société gangrenée par l’argent, le pouvoir et la corruption. Pour se sortir d'une situation impossible Malart joue ainsi une partie d’échecs mortifère contre un vaillant guerrier qui a tout perdu. À force d’introspection, l’inspecteur s’est mis dans la tête de Goran pour trouver sa corde sensible et l’affronter d’homme à homme avec cette ultime répartie désespérée comme le sont les chants les plus beaux: nous sommes tous comme la boule dans un flipper dit Malart. On va dans un sens et dans un autre, mais on finit toujours dans le trou. Tout le monde, toi et moi compris . Plus troublant, ce mimétisme contamine aussi ses coéquipiers qui finissent par adopter ses méthodes hors normes pour le retrouver et extirper du piège ce collègue que sa névrose obsessionnelle à mené au bord du précipice.  Comme la sous-inspectrice — appellation contrôlée ? — Rebeca Mercader si intrépide quand il s’agit de sauver Malart qu’elle gagne la réputation d’ avoir les ovaires bien accrochés . Plus déstabilisant encore quand le puzzle commence à prendre forme, souvent les mêmes questions viennent dans la tête des accusés comme des enquêteurs qui : la vengeance peut elle être là seule réponse possible comme réponse au viol ? Suis-je capable de tuer ? Il s’agit de comprendre comment et pourquoi les protagonistes ont agit de cette manière qui les place en porte-à-faux. Face aux coups tordus et à la merci d'une taupe, entre guerre des polices et l’intransigeance pas toujours innocente de l’appareil judiciaire, l’équipe sait qu'elle risque gros en voulant dévoiler une vérité que les puissants voulait faire taire. Et que tous les coups sont permis dans un monde où l’argent hurle, la richesse murmure comme le dit la sous-inspectrice Mercader. Malart Aro Sáinz de la Maza Éditions Actes Sud (Actes noirs 2024) Traduit de l’espagnol par Serge Mestre
par Laurent Cachard 22 sept., 2024
On retrouve dans les bains de Kiraly —rétroactivement, c’est un roman de 2008—ce qui fait la force et l’originalité des romans de Jean Mattern : contenir des pans entiers de l’Histoire (et son pendant, l’histoire familiale) en 120 pages, chez Sabine Wespieser. En suivant les révélations de Gabriel, le narrateur—on n’en connaît le prénom qu’au mitant du roman—dans une synagogue de Londres, qui lancent une construction cyclique du roman, l’emmène à présenter l’histoire d’amour absolue et évidente— deux êtres humains peuvent-ils reposer l’un dans l’autre ? —qu’il a vécue avec Laura, ses rires, ses passions, leur voyage à Amsterdam, son enthousiasme à elle devant les Tournesols de Van Gogh, son sang à lui qui se glace devant la ronde de nuit de Rembrandt, le souvenir du père à l’annonce de la mort accidentelle de sa fille. Sa sœur, Marianne. Il avait 10 ans, et l’incipit renvoie à la mécanique du corps , aux pas hébétés posés dans le cimetière en suivant le convoi, qu’il voudrait pouvoir revivre en pleine conscience. Laura lui a permis, dit-il, de sortir de la salle d’attente de sa propre vie , du moins le croit-il. Jusqu’à ce que son parcours—études brillantes (pour deux ?), fuite déguisée en Angleterre—le ramène à ses propres démons, la langue que chuchotaient ses parents, le fatum—Dieu a donné, Dieu a repris, les préceptes du père —que Léo, qu’il rencontre dans un cercle de lecture, va opposer à Mr Porree, spécialiste du Roi Lear . Les deux se lient d’une amitié indéfectible, et c’est dans la confession—par lettres, un temps où ils étaient éloignés l’un de l’autre—que Léo va trouver les mots que lui n’a jamais sus, traitant de la mort de Charlotte, sa sœur à lui, par méningite quand il avait 10 ans, également. Des lettres qui vont faire écho, dans le deuil impossible et l’isolement qu’il provoque, des confidences qui étaient autant de révélations sur (m)a propre histoire . Avec, pour mise en abyme, un film au ciné-club, vu ensemble, l’histoire d’une fratrie anéantie par la mort brutale du grand frère . Les répliques de cette mutation—ces changements soudains définis par Virilio—seront brutales, provoqueront la nécessité d’en savoir plus sur son identité réelle, à peine entraperçue par sa visite, un été, à l’oncle Jozsef (le même que dans les rives du Danube ?)—excentrique professeur d’histoire au Lycée Foch de Montpellier, qu’il n’aura pas eu le temps de vraiment connaître—son enfance en Hongrie, la tache aveugle de notre géographie familiale , souligne Gabriel. Lui-même est devenu un linguiste redoutable, habitué à ses grammaires intimes, qui trouvera chez M.Stobetzky, le libraire de Bar-sur-Aude (le village parental) les réponses qu’il comptait trouver dans la Bible, (mal)traduite de l’hébreu. C’est sur Thomas Mann que le libraire orientera ce gamin de 13-14 ans qui dévore 5 livres par semaine, en fera le futur traducteur de Tonio Krüger , du même auteur. Ce qui le mènera à Budapest, pour un colloque sur l’écrivain. Et là, au hasard d’une visite dans le cimetière Kerepesi, dans les allées, son regard se porte sur une tombe, celle de Kareth Roth, son grand-père. Lequel a bien été Juif pendant quelques semaines . Gabriel, dont les cauchemars récurrents le ramènent au trou béant avec, au fond, le cercueil de Marianne , vivra cette succession de révélations comme une libération doublée d’une damnation. Ira nager à chaque fois qu’on le mettra en face de ses choix ou de la paternité qui s’annonce à lui. Pour oublier que les bruits du cœur de son enfant , à l’échographie, se confondent avec l’écho des pelletées de terre qu’on a jetées sur le cercueil de sa sœur. Remontera l’écheveau jusqu’à cette impression, dans la synagogue de Budapest, de ne pas être là par hasard, d’être de retour . La narration se croise entre cette nécessité du passé et l’urgence du présent, leur incompatibilité, ces mensonges faits de silence et d’absence , dans son dictionnaireland de bureau. Il écrit à Léo, officiellement pour lui dire sa joie d’être bientôt père, mais lui avoue, dans le même temps—le courriel est reproduit in extenso dans le roman—que c’est lui, Léo, qui a trouvé dans les courriers qu’il lui envoyait, les mots pour dire comment on meurt , et, plus grave, qu’il ne sait pas dans quelle langue il lui faudra parler à son enfant . Il est devenu un spécialiste des mots, oui, mais des mots des autres , et l’aveu qu’il fait de ceux qu’il a volés à Léo—qui ont sans doute séduit sa femme, à distance—est un aveu terrible. Inextricable pour quelqu’un dont la quête—la voie/la voix—ne conduira qu’à la demande du Grand Pardon— même à Yom Kippour, un Juif n’est pas seul devant Dieu —pour ceux qu’il a abandonnés au nom de ceux qui l’ont laissé. C’est incroyable comme c’est facile de partir , se dit-il dans les bains turcs du grand hôtel Gellert, à Budapest. C’est sans doute beaucoup plus complexe de rester, oui. Encore faut-il avoir la notion du temps . NB : ce très beau roman est écrit sous l’égide de Jérémie , le livre de Franz Werfel que son oncle Jozsef lui a offert pour ses 13 ans. Une histoire qui fait lien entre le présent et la crise que traverse Clayton Jeeve, un jeune écrivain anglais dont la mort de sa femme, Leonora, a provoqué une dépression qui a tari sa créativité. Écoutons ce qu’en dit Bernard Bach, dans sa critique roman de la protestation ou le courage de la confiance (Germanica, 2002) : « Mais le mal dont souffre Clayton Jeeves n’est pas seulement conjoncturel, il est plus profond, il est existentiel : C’est l’angoisse du vide et de l’absurde qui paralyse son affirmation créatrice. Cela provoque chez lui un sentiment de séparation de lui-même d’avec l’ensemble de la réalité, un sentiment d’isolement du soi comme individu. Clayton Jeeves a comme l’impression d’avoir été attiré à Jérusalem contre son gré, en ce lieu mystérieux qu’il éprouve comme le centre du monde). Ce qu’il est venu chercher ou redécouvrir en ce lieu, même s’il n’en pas immédiatement conscience, c’est ce centre spirituel qu’il est en train de perdre et qui donnait une réponse, symbolique, à la question de la signification de l’existence et sur lequel peut s’appuyer l’affirmation créatrice de soi. Le voyage à Jérusalem exprime symboliquement la quête de ce centre essentiel susceptible de guérir Clayton de son mal existentiel » . Les bains de Kiraly Jean Mattern Éditions Sabine Wespieser (2008)
par Laurent Cachard 20 sept., 2024
Avec Kalach Mambo , Christophe Naigeon clot sa trilogie du Libéria en anamorphose, chacun des trois romans trouvant une répercussion dans les deux autres. Ici, il prend comme sujet l’histoire de Moses, Moe, devenu enfant-soldat suite au massacre de toute—du moins le croit-on—sa famille dans son village de Be Wani, pas un commando de femmes au service de Taylor, le président en place. Il a 32 ans quand il raconte, il en avait 7— le jour où je suis devenu le plus vieux de la famille —quand il a vu cette femme au sourire carnassier abattre son père, sa petite sœur, sa grand-mère, son grand-père aveugle et tous les autres sans une hésitation, cherchant jusqu’au bout quelqu’un—un rebelle ? Ils ne connaissaient même pas le terme—à tuer. Sans le voir lui, caché sous terre ou presque, à hauteur du pied de la Colonel, dont il ne verra que le collier de pied, en véritables dents humaines. Jusqu’à ce jour, j’ignorais la haine , confie-t-il, lui qui consacrera sa vie—en fait, 5 ans, à peine—à se venger. Entre temps, il est recueilli par le Colonel Mother-Blessing, celui qui épargne les mères, et deviendra un de ces smo’sodia (p’tits soldats), vite baptisé Hitler-Killer , un surnom auquel il ne comprend rien mais qu’il adopte : j’ai pris ça pour un encouragement . Il fait partie des 176 gamins dans l’escadron des Léopards, échappe, de par son très jeune âge, aux drogues que les plus âgés—20 ans, sans avenir—enquillent pour trouver un sens. Un jour, il sauve la vie de son colonel, devient son homme de confiance, toujours accompagné de sa Sister Beretta , son M12. Des ennemis, on n’avait que ça , comprend-il, dans ces milieux corrompus où les diamants font monter les têtes. Lui ne sait pas ce que c’est, pas plus que les femmes, il veut devenir un super soldat invincible, suit une initiation, inachevée, d’homme-léopard, un sujet avec lequel Naigeon finissait Libéria, le deuxième volume. Il apprendra à être invisible, sera envoyé pour arracher le cœur de l’ennemi, pour que son Général, Pepper & Salt, puisse le manger. La première fois qu’il voit une femme nue—du commando des Butt Naked—au bord de l’océan, lui qui n’a connu que la forêt ou presque, elle le braque de son AK-47, se déclare invincible, il la tue pourtant, simplement, dans cette guerre menée par des fous, entre des fous encouragés par des maîtres-fous. Ce sera sa 10 e victime, il se jure que ce sera la dernière. Sauf la Femme, qu’il lui faudra retrouver pour assouvir sa vengeance. Il a deux objectifs, Moe : la trouver, 5 ans après, et savoir lire et écrire. Pour ça, il doit rejoindre Monrovia, se fondre parmi les Libériens ; il connaîtra les affres des repentis, tuera de nouveau pour s’en sortir, suivra son instruction pas à Don Bosco, où il serait reconnu par d’autres enfants-soldats, mais à la Self School, où sa rencontre avec Ghankay va changer sa vie. Ainsi que l’arrivée, dans la ville, de Julien, un journaliste, suivi de Jipé, son preneur de son et ami. Les énonciations sont croisées, dans la deuxième partie du roman, Julien est intrigué par ce gamin jeune-vieux, croit l’amadouer en l’emmenant au cinéma, pour la première fois de sa vie, en lui offrant ses premières baskets, son premier restaurant et le maillot du Milan AC, club de l’icône locale—qui deviendra en 2017 président de son pays !—Georges Weah, premier Africain Ballon d’Or. Il est d’une intelligence brute, sans cultures, pense Julien de lui, il veut faire un film sur les gens d’ici, dans ce pays au nom usurpé, où mourir ou vivre n’est qu’une question de chance. Dans son reportage, Julien va rencontrer une escort-girl, Ophélia, dont l’histoire est mêlée à celle de son pays, un tenancier de restau qui rêve de redonner à son établissement, le Black Frog, ses heures passées de club de jazz. Ça tombe bien, Jipé—un Iggy Pop en moins destroy—le preneur de son, est un pianiste hors-pair, et les soirées qu’il anime sur le quart de queue sont si marquantes que Cook, le patron, rêve de le voir rester et reconstruire. Entre temps, le roman remonte le récit chaotique du Libéria, en guerre civile depuis 1980 et le coup d’État de Samuel Doe qui a tué de ses mains le président Tolbert, entraînant 15 années de conflit avant un cessez-le-feu, et celle, plus récente, de Moe, des trois armées en uniforme, qui s’arrangent des pillages et des tueurs, les laissant s’entretuer pour reprendre la main, après, entre ennemis. Parmi eux, une femme, mondaine ne jurant que par les séries télévisées américaines—K2000 ou Charlie’s Angel, son surnom—et couverte par l’ONU—n’est-ce pas qu’elle a reconnu que nous nous sommes bien comportés ?—redevient Colonel quand les choses se corsent, jubile et caresse sa tenue. Elle sera évidemment le lien manquant entre les histoires croisées, mais le lecteur devra savoir comment Moe est remonté jusqu’à elle, comment il a découvert la musique via Jipé, qui le verra vibrer sur Akhenaton comme jamais il n’a vibré. L’heureux lecteur verra également Julien et Sandra se tourner autour sur fond de Légende des Siècles , d’Amin Maalouf, de dédicaces perdues dans le vide—nous aurons été au moins poètes—et des femmes qu’on n’a pas su retenir et s’interrogera , lui aussi, sur le mobile, les explications, que l’histoire dans l’Histoire de Moe ne comble pas : retranscrire, traduite, révèle les lacunes d’un texte , écrit Naigeon, et le cinéma, la télévision, favorisent par le montage, la musique, les approximations, les mensonges par omission. Le cinéma n’est pas le monde réel mais les enfants qui n’ont vu de l’Amérique que ce qu’elle a de pire à montrer, croient en lui comme ils croient en Dieu. C’est un roman qui pourrait être sans issue si Christophe Naigeon ne lui en offrait une, en finale, en remontant à l’origine même du pays, de son idée, par une subtile anamorphose, disais-je, renvoyant, à la fin du 3 e volume, au 1 er . C’est malin, et ça répond à une gageure lancée en amont, au Black Frog Club, quand l’un des convives propose de faire un roman de ce maelstrom. Il en aura fallu trois. Kalach Mambo Christophe Naigeon Les presses de la cité (2024) Christophe Naigeon sera l’invité des Automn’Halles, le festival du livre de Sète, le samedi 28 septembre 2024, à 10h30, au Bar du Plateau. 
par Marie-Ange Hoffmann 17 sept., 2024
Voici un roman à la fois courageux et poignant qui, suite au scandale révélé dans les 10 dernières années du siècle dernier — donc histoire récente — connu sous la dénomination de L’affaire des enfants de la Creuse , met en scène une fratrie de quatre enfants âgés de 15 à 7 ans arrachés par la DASS à leur mère veuve, déracinés de leur patrie La Réunion, pour être emmenés en métropole où on leur fait miroiter un avenir meilleur. Il s’agissait de mettre en œuvre un plan d’aide aux agriculteurs souffrant de l’exode rural dans les régions de la France profonde. C’est avec les yeux des deux derniers enfants, Marie-Thérèse accompagnée de son petit frère Joseph, que l’autrice choisit de suivre leur parcours qui tourne vite au calvaire. Séparés du reste de la fratrie, les deux malheureux enfants se retrouvent à la merci d’un couple de fermiers sans scrupules dans un village de la Creuse, bien loin de la promesse de Paris et Notre-Dame — « C’est Notre-Dame de Paris… C’est magnifique là-bas. Tu verras. L’une des plus belles merveilles du monde ». Les enfants déchantent très vite : pas question d’école mais au menu quotidien figurent travail forcé, maltraitances de toutes sortes, coups, privations de nourriture, humiliations, etc. Leur identité leur est volée. « Nos prénoms changèrent soudainement. Un jour Joseph et Marie-Thérèse, l’autre Florent et Marie. Nous avions subi tant de bouleversements que ce n’en était même plus surprenant. Et donc ? Mon identité, à la manière d’un oignon, avait été épluchée, éraflée couche après couche au point qu’il ne me restait plus qu’un fragment de mon être, et ce fragment était Joseph ». Joseph, le frère, garçon fragile, sensible, que la sœur, forte, rebelle, finira par laisser à la ferme, mue par le désir impétueux de s’échapper et fuir le destin cruel qu’on leur avait imposé. Le récit passe de l’enfance d’esclaves à la ferme aux scènes de leur vie familiale à La Réunion qui, malgré la pauvreté, sont empreintes de joie et d’amour. Le récit alterne également la vision de l’enfant et celle de Marie-Thérèse vieillie et malade, revenant accompagnée de sa fille à La Réunion pour rendre hommage à son frère et à tous les enfants maltraités de la sorte. Joseph, le frère poète disparu mais bien présent à travers sa poésie à laquelle Marie-Thérèse redonne vie en offrant au monde son recueil Danse avec tes chaînes . L’autrice précise la référence à la citation de Nietzsche : « la liberté, c’est savoir danser avec ses chaînes » . Anaëlle Jonah est journaliste. Danse avec tes chaînes est son premier roman. Elle est invitée de notre festival et sera présente à la Nouvelle Librairie Sétoise pour une rencontre animée par Solène Dauge, vendredi 27 septembre à 17h. Danse avec tes chaînes Anaëlle Jonah Éditions Fayard 480 pages Parution : août 2024 ISBN : 97822137300350 Prix de vente : 22,90€
par Joanna Lens 12 sept., 2024
Publiée en 2012 aux éditions du Somnium, La Saison de la colère incarne pleinement le style caractéristique des novella de science-fiction de Claude Ecken. Voguant du concret scientifique à l’hypothétique ébranlement de notre société d’ici 50 ans, de métropoles au sommet des décisions planétaires à leurs répercussions dans les petites communes gardoises, l’auteur confronte son lecteur à son avenir imminent depuis son fauteuil bien ancré en 2024. Conscient des défis climatiques et prenant appui sur ses connaissances scientifiques, Claude Ecken s’attache à souligner les décalages persistants entre la méconsidération des enjeux écologiques et la plausible survenue de catastrophes naturelles et sociétales, telle que la submersion de la Camargue et la crise des réfugiés climatiques. Non seulement cette anticipation permet au lecteur de réviser sa réception de l’actualité mais elle le conduit également à une forme d’initiation à travers la découverte de soi, la gestion de ses sentiments et de son rapport à l’injustice. Tarek, adolescent gardois dont le père est ingénieur et spécialiste en solutions environnementales en vient à se rebeller contre la politique publique de la commune de Minaud alors qu’il constate la discrimination et l’injustice vécues par les réfugiés climatiques. Accompagnée par sa nouvelle amie Mirella, il s’échappe via le jeu vidéo dans un monde fictionnel où il lutte pour le climat. Une fine mise en abyme amenant le lecteur à reconsidérer son activisme en prévention de toute Saison de la colère . Lire Claude Ecken, c’est aussi s’interroger sur nos responsabilités envers les générations futures. L’indifférence face aux enjeux planétaires actuels est-elle la solution alors qu’ils bouleversent déjà nos modes de vie ? Raison et émotions forment ici un solide alliage permettant de s’interroger quant aux bouleversements climatiques, sociétaux, et par répercussion, psychologiques qui pourraient survenir dans un futur proche. Un avenir plus serein serait-il concevable pour le Gard et aussi le reste du monde ? La Saison de la colère Claude Ecken Édition Le Somnium 160 pages Parution : novembre 2012 (© 2008) ISBN : 978-2-918-696-100 Prix de vente : 11€
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