« C’est un roman sur la perte et aussi le commencement » explique l’auteur. Et sur le démembrement, la fracture, la reconstruction.
L’action se situe de nos jours, dans un village isolé face au Vercors. Hugo, un médecin citadin, las de la ville — le Covid ayant eu un rôle d’accélérateur, de révélateur d’un mal de vivre — décide de fuir Paris et de s’installer en zone rurale. Le hasard le conduit à Saint-Antoine l’Abbaye, près de St-Marcellin. Le hasard encore lui fait retrouver une ex-petite amie, Manon, séparée du père de son fils, Vadim dont elle a la garde. Le hasard fait bien les choses puisque ces deux-là, en manque d’amour, se retrouvent vite, s’installent ensemble dans la maison de Manon et s’accommodent d’une vie simple, proche de la nature.
Le village est célèbre pour son ordre hospitalier qui rayonna sur toute l’Europe pendant le Moyen Âge. Les moines médecins soignaient les malades de l’ergotisme, sorte de peste avant la peste. Hugo est donc en terre familière. Étrange coïncidence puisqu’il a déserté la ville pour s’installer sur une terre foulée autrefois par Saint-Antoine l’Egyptien, le saint du désert dont les reliques sont précieusement gardées dans l’abbaye du village.
Il ouvre un cabinet, réapprend à vivre, « J’aurais peur désormais de la ville et ses absurdités, sa démesure inhumaine », soulage les patients plus qu’il ne les soigne : « En médecine, j’ai fait suffisamment de prescriptions pour savoir que l’ordonnance n’apporte pas la guérison. C’est une aide seulement, l’orientation, la possibilité d’un chemin pour le patient ». Et goûte à toutes les joies ordinaires qu’il avait oubliées comme l’alternance des saisons, les sonorités de la campagne, les silences, le bruit du vent, le chant des oiseaux ou le tintement d’une cloche d’église. L’auteur est d’abord musicien, ancien professeur au Conservatoire de Paris ; il a juste remplacé les notes par les mots.
C’est dans une atmosphère sereine et calme que se fait un jour la rencontre entre Hugo et un pianiste libanais, Bechara El-Rihani. Elle va troubler sa quiétude nouvelle. Une amitié va naître. Ce musicien, personnage énigmatique, va lui demander l’improbable… Que je ne dévoilerai pas dans cette chronique.
Entre la fragilité apparente du pianiste, le décalage entre sa délicatesse et l’âpreté de la vie rurale dans ce village presque montagnard, l’auteur, dans un décor rassurant, fait vibrer des personnages qui lui permettent, lui le mélomane, d’évoquer sa passion pour Pascal Quignard et Tous ses matins du monde, Jodri Savall et Marin Marais, entre autres.
Le style est à l’image du roman. Sans fioritures ni effets. Avec juste une dose d’intrigue nécessaire à la construction du récit. Les chapitres Terre, Eau, Air, Feu, Ether donnent le ton. Et puis, belle résonance entre le nom du protagoniste, Hugo, et celui de Saint Hugues, dont la vie est préfacée par son secrétaire, en 1200, et rappelée en épigraphe du récit.
Bruno Messina a été musicien intermittent du spectacle, puis professeur d’ethnomusicologie et directeur artistique de festivals. Il est l’auteur d’une biographie de Berlioz (2018) et d’un roman 33 feuillets (2022) chez Actes Sud.
Feu saint Antoine
Bruno Messina
Éditions Actes Sud
Collection Un endroit où aller
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