Le chien, la neige, un pied : un titre énigmatique qui sent le conte, à la manière de cet auteur pour qui le connaît (voir son dernier roman Choses, bêtes, prodiges). C’est l’histoire du vieil éleveur de montagne (encore la montagne, le milieu naturel cher à l’auteur), Adelmo Farandola—son nom est à lui seul tout un programme —un clin d’œil à la farandole, danse à la fois de la vie et de la mort—l’homme vit en ermite dans une cabane perdue au fond d’un vallon inhospitalier, caillouteux et aride. Mais quel personnage ! Nous faisons sa connaissance alors qu’il descend au village pour s’approvisionner. Sa mémoire lui joue des tours—il ne se souvient plus y être venu la veille—Communiquer avec ses semblables devient difficile.
À force de ne pas parler pendant de longues périodes, il peine à faire sortir les phrases et chaque mot lui semble imprononçable. Il préfère remonter dans son isolement.
Le génie de l’auteur réside dans sa manière évocatrice, douce et brutale de nous entraîner dans cette farandole des sens où fusionnent la beauté et la laideur de la nature et des hommes. A l’horizon, la mort, au bout d’un chemin de misère où l’homme se perd lentement mais sûrement dans la folie.
L’homme ne sent plus rien depuis un moment. Depuis qu’il a arrêté de se laver il est anesthésié à ses propres odeurs, et les pets qu’il lance la nuit sous les couvertures ne sont que de chaudes caresses, qu’il cultive avec une alimentation adéquate.
Et nous faisons connaissance avec un deuxième personnage, le chien, qui surgit soudain sur son chemin et ne le lâche plus, si bien que notre homme bourru et solitaire se laisse adopter par lui !
Parfois le chien ressemble à un appendice de l’homme. Il reste à ses côtés, il se frotte contre son mollet, il ne perd de vue aucun de ses gestes, au point que même un coup de pied d’Adelmo Farandola ne peut pas l’éloigner, car tout en jappant, il fait quelques petits virages—pour jauger la douleur—puis il se remet à se frotter à son compagnon.
Jusqu’alors, il menait des monologues, se posant des questions et donnant lui-même les réponses. A présent, c’est avec le chien qu’il s’entretient, et leurs conversations burlesques ne manquent pas d’humour !
Le chien craint de servir de rôti à son compagnon affamé, mais heureusement, celui-ci est protégé par sa crasse qui le nourrit en quelque sorte ! Tous les deux parviennent tant bien que mal à survivre au dur hiver. Et c’est alors qu’apparaît à la fonte des neiges le troisième élément perturbateur : un pied humain gelé ! Mais le pied de qui ? qui l’a mis là ? dans quelles circonstances ? les obsessions de notre homme s’enflamment et virent à la folie.
Adelmo Farandola insultait la mère de la Faim, la mère du Froid, et aussi la mère du Sommeil, son ennemi le plus sournois, celui qui se présentait en ami mais qui en réalité voulait seulement que l'homme s'abandonne pour le livrer à la mort.
Dans ce récit qui part d’un réalisme cru pour virer au conte fantastique, l’auteur nous parle de solitude, de vie et de mort. Étonnante appendice du roman où l’auteur dévoile sa source d’inspiration. Mais est-ce bien la vérité ? Avec Claudio Morandini, tout est remis en question dans le rythme endiablé de la farandole !
Une seule petite remarque quant au titre français, qui ne restitue pas la ligne mélodique du titre original : Neve, cane, piede, qu’il aurait peut-être fallu garder ? La traduction du roman est par ailleurs remarquable.
Le chien, la neige, un pied
Claudio Morandini
Traduit de l’italien par Laura Brignon
Éditions Anacharsis (2017)
NOS SOUTIENS ET PARTENAIRES