“Feu saint Antoine” de Bruno Messina
Le dernier livre de Bruno Messina, (auteur déjà présent aux Automn’Halles en 2022 pour 43 feuillets, musicien intermittent du spectacle avant de devenir professeur d’ethnomusicologie, directeur du festival Berlioz et du festival Messiaen), taraudera longtemps l’esprit du lecteur après que celui-ci se sera résolu à le fermer. Il y a d’abord le titre qui intrigue. On apprend que « le feu Saint-Antoine » ou « le mal des ardents » évoque un fléau épidémique qui sévissait dans les temps médiévaux, où les malades gravement atteints brûlaient à petit feu, ou dans un grand incendie de spasmes et de convulsions qui précédaient la folie, les tissus consumés par la gangrène. C’est alors qu’intervient Antoine dit le Grand, ou l’Ermite, ou l’Egyptien, le saint du désert, le sec, l’austère, le discret, l’éprouvé, l’ancêtre, celui qui avait résisté au feu des tentations, et dont les reliques furent déposées dans une petite église de village du Dauphiné, nommé aujourd’hui Saint-Antoine-l’Abbaye, village témoin d’un ordre religieux aujourd’hui disparu : les Hospitaliers de Saint-Antoine.
C’est ici, dans ce village face au Vercors — terre de cœur de l’auteur — que le présent rejoint le passé. D’abord en la personne du médecin Hugo qui, fatigué et désabusé de l’exercice professionnel en milieu hospitalier de la grande ville, décide de tout quitter en répondant à l’invitation d’une ancienne amie d’études, Manon, qui lui dit simplement « Viens ! » dans son petit village d’Isère.
Je devais m’enfuir au plus vite, abandonner le peu qu’il me restait, déserter — c’est le mot juste —, trouver ma thébaïde — mais ce mot m’est venu après, je ne le connaissais pas encore. Il m’est venu plus tard, dans le désert, avec Antoine.
Là, dans sa traversée du désert où sa séduisante devise serait de [s]’isoler du monde sans [s]’en exclure, grâce et avec Manon, il va réapprendre à vivre, à aimer, à admirer la nature, ses sons et ses silences, à jouir des choses simples. Il va redécouvrir les origines de son métier en faisant connaissance avec les pratiques d’amputation exercées par les Hospitaliers de Saint-Antoine, les moines-médecins qui accueillaient les malades et les guérissaient en les délivrant de leurs membres infectés. Le roman met en lumière la liaison du passé avec le présent à travers les maux de la société aux prises avec ses miracles, ses épidémies (nous sortons du Covid, des divers confinements, des attentats). C’est un roman sur les bienfaits de l’amour, de l’amitié aussi. La rencontre avec le pianiste libanais, les liens qui se tissent entre eux lentement mais sûrement jusqu’à l’incroyable dénouement sont remarquables de justesse, de sensibilité, de force romanesque. Et la musique, oui, la musique, elle ne doit, ne peut pas manquer chez Bruno Messina ! « De la musique avant toute chose, et pour cela préfère l’impair » chantait le poète. Et l’auteur de souscrire : Comme en musique, il manque l’essentiel quand les enfants modèles ne savent pas se défaire de la partition. En médecine, j’ai fait suffisamment de prescriptions pour savoir que l’ordonnance n’apporte pas la guérison. La musique donc et ses bienfaits, la musique des mots, de la nature, des sentiments — Aimer se chante mais ne se dit pas —
Et puis, après ma première lecture, - j’ai éprouvé le besoin de le relire – l’étonnante structure de composition du roman en cinq chapitres m’interpelle : Terre, Eau, Air, Feu et Éther. La pensée de Bachelard explorant les quatre éléments des Anciens et des Alchimistes pour mettre en évidence leur pouvoir sur notre imagination a sans aucun doute servi de canevas et d’inspiration à l’auteur. A chacun d’interpréter comme il le sent. Voici donc un roman envoûtant par la force de son ambition historique, humaine et poétique.
Feu saint Antoine
Bruno Messina
Éditions Actes Sud
Collection Un endroit où aller









