“Une Anglaise à bicyclette” de Didier Decoin
Il y a eu un massacre à Wounded Knee, dans le Dakota du sud... Éhawee fait partie des enfants qui n’ont pas été tués tout de suite. Chamani l’a attrapée et s'est mise à courir, la balançant par les chevilles comme un maillet de croquet au risque de lui fracasser le front contre un obstacle. Ainsi commence dans le bruit et la fureur l’un des romans les plus sentimentaux de Didier Decoin où l’on retrouve sa fascination pour les indiens, où l’on découvre aussi une Angleterre victorienne extravagante où va s’émanciper cette enfant Sioux devenue Une Anglaise à bicyclette. Il y tient du conte de fées et du roman policier avec ce Constable qui cherche à expliquer l’inexplicable, avec cette obstination des gens de police décrite par Jules Vernes dans son « Tour du monde en quatre-vingt jours » où son inspecteur attend l’occasion d’arrêter Phileas Fogg. Car le policier Tredwell est persuadé que cette petite Emily ramenée d’Amérique par Jayson Flannery ne peut pas être l’enfant de soi-disant fermiers irlandais immigrés comme l’a raconté partout le photographe. Et pourtant personne ne se formalise lorsque la presse locale informe la population de Chippingham que Jayson Flannery va épouser sa fille ! Depuis qu’ils se sont habitués à voir en elle la fillette orpheline, le « mensonge Emily » s’est enkysté dans la chair de la ville et personne ne songe à l’en extirper. C’est qu’à dix neuf ans Emily est devenue belle, sensuelle, sauvage épanouie au point que l’on est séduit dans ces pages qui n’ont rien a envier aux romans érotiques. Si bien que non seulement aucun scandale ne couve, mais une sorte de nervosité s’empare des habitants à la pensée qu’ils pourraient ne pas faire partie des invités.
Quant à la bicyclette avec pneus Dunlop et freins par rétropédalage que Jayson lui a offerte, en pensant qu’Emily allait la chevaucher et la guider comme une monture, puisqu’elle avait exprimé la nécessité d'un cheval — tournure que Jayson avait appréciée — elle sera la trouvaille littéraire du passage dans le monde des fées telle une Alice au pays aux merveilles qui aurait atterri chez Sir Arthur Conan Doyle, qui considère comme Sherlock Holmes que le fantôme est la survie de l’esprit.
Après tout, la demeure de Jayson Flannery, son Probity Hall, comme le cercle des maisons hantées cache bien d'autres mystères, à commencer par le fantôme de sa première épouse, aujourd'hui morte, Florence dont le numéro d'escapologiste l'avait rendu fou d’amour, et celui du Docteur Lefferts qui lui avait annoncé sa mort, avec sa voix que le médecin entretient aussi jalousement que d’autres leur chevelure ou leurs mains, où leurs bottines, comme s’ils cherchaient à protéger la seule partie d’eux-mêmes à être à peu près parfaite dans l’immense assemblage de ratages et de choses dégoûtantes qu’est un homme.
La plume de Didier Decoin n’épargne personne, mais elle sait aussi exprimer une certaine philosophie empruntée encore une fois aux Indiens d’Amériques quand les Lakotas ont raison de penser que la vie d’un homme est un cercle, que tout finit par se rejoindre.
Ainsi, C’était un soir de septembre, le mois le plus beau, le mois de la Lune-des-prières écarlates…
Très bonne lecture.
Une Anglaise à bicyclette
Didier Decoin, de l’académie Goncourt
Éditions Stock (2011)
Didier Decoin sera l’invité des Automn’Halles 2024 à Sète.









