Malart, un titre, on ne peut plus simple, qui est comme un clin d’œil au lecteur que ce polar-là, le dernier opus de la tétralogie espagnol de Aro Sáinz de la Maza, devrait être différent des autres. On soupçonne que si l’auteur a mis en avant le seul nom de son héros en première page de couverture, celui-ci sera sans doute le cœur battant de cette nouvelle intrigue. Une façon astucieuse de titiller la curiosité du lecteur qui, s’il connaît déjà Milo Malart, le policier aux improbables mais efficaces méthodes, se hâtera d’ouvrir le livre, d’autant plus qu’il est question d’abîme dans l’exergue.
Comme dans les précédents romans, un prologue plante le décor et des indices qui amèneront à la tragédie. Elle aimait courir à travers la ville de bon matin, ainsi commence l’histoire. Une jeune femme qui n’est pas nommée nous entraîne dans sa course et nous apprenons que courir est pour elle une activité vitale, qu’elle est au bord d’un précipice sans fond, sous l’emprise d’un traumatisme d’enfance dévastateur dont elle essaie de se libérer. Les analogies avec l’inspecteur Malart et son histoire de schizophrénie familiale s’imposent alors, comme les thèmes récurrents de l’auteur que sont le pouvoir de l’argent et la corruption des médias et de la police. La jeune fille qui court assiste par hasard à un accident causé par un couple visiblement sous effets de drogues dans une voiture de luxe et on se doute que ces deux personnages sont peu recommandables, des très méchants, comme ceux que traque l’inspecteur Malart.
Malart, le voici qui apparaît au chapitre suivant intitulé Jeudi 28 novembre, Barcelone, trois heures douze. L’horloge du temps est en marche. Non sans un certain génie, l’auteur construit habilement l’intrigue en mettant en scène un homme — qu’il n’identifie pas immédiatement comme étant l’inspecteur Malart — dans une très mauvaise posture, il flottait à la surface de la mer comme un poids mort. Assiste-t-on à la mort par noyade de Milo Malart ? Cela en a tout l’air, mais on n’y croit pas ! Et le lecteur n’est pas le seul à avoir confiance en Malart. Sa partenaire, la sous-inspectrice Rebecca Mercader et ses co-équipiers du Groupe s’inquiètent de sa disparition et entreprendront trois jours d’enquête effrénée pour tenter de le retrouver.
Sans trop dévoiler de l’intrigue, qu’il soit dit qu’on découvrira le couple responsable de l’accident de voiture du début — deux psychopathes rejetons de la très haute société catalane — tous deux définitivement morts, fixés à la poupe de leur yacht somptueux dérivant à quelques miles de la côte. Ce qui est complètement fou, c’est qu’il semble que l’inspecteur Malart soit l’auteur du double crime : les preuves sont accablantes, le yacht est truffé de ses empreintes et Milo reste introuvable. Alors que la presse, le juge et les réseaux sociaux enflammés par les familles des deux morts demandent sa peau, seuls Rebecca et ses collègues vont tenter de sauver Malart. Mais ce ne sera pas chose facile ! Le doute commença à s’ouvrir un chemin dans son cerveau. Le poids des preuves était accablant, écrasant. Tout comme les indices. Comment était-ce déjà ce que lui disait toujours Malart ? « Ne cherche pas, efforce-toi de trouver. Il est aussi important de voir ce qu’il y a, que ce qu’il n’y a pas. Si tu espères trouver quelque chose de concret, tu ne pourras pas voir le reste. »
Comme toujours chez Aro Sáinz de la Maza, la dimension psychologique analysée finement joue un rôle primordial, comme la description qui ne fait pas dans la dentelle d’une Barcelone gangrénée par la corruption et le pouvoir de l’argent. Même si Milart semble baisser les bras, obsédé par son impuissance à vaincre la perversité des puissants et hanté par une névrose obsessionnelle, même si son équipe a toutes les peines du monde à le sauver, on ne peut croire que le Mal puisse avoir le dernier mot ! Et on marche à fond avec Mercader lorsqu’elle décide d’adopter la méthode de mimétisme chère à Malart — Je veux mettre la méthode de Malart en pratique…L’idée est d’essayer de comprendre le coupable au maximum, je veux dire le plus humainement possible.
L’intrigue est bien construite avec une progression captivante de plus en plus serrée, de rebondissements en rebondissements où l’apparition des personnages du début prennent tout leur sens, jusqu’au dénouement qui reste sur un point d’interrogation ! Une fois de plus, Malart et son Groupe ne déçoivent pas le lecteur, qui espère une suite…
Malart
Aro Sáinz de la Maza
Éditions Actes Sud (Actes noirs 2024)
Traduit de l’espagnol par Serge Mestre
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