“Avec vue sur la mer” de Didier Decoin
Demain, disaient les parents, nous irons voir la mer à Deauville… dit d’un trait, comme ça sans respirer, cul sec, les gens comprenaient lameradovil, comme un nom de médicaments. C’était un peu ça la mer à Deauville, aller chercher cette eau si loin, à cause des marées, au-delà du sable à perte de vue… sentir l'ambre solaire dont les baigneuses huilaient leurs bras, leurs épaules, leur nuque, cette odeur restée pour moi affolante, de l’enfance et du désir. Didier Decoin, qui a connu ses premières années de vacances dans le Cotentin est tombé amoureux de la Normandie au point que même Pont l’Évêque ne sentait pas le fromage. Si bien qu'il a, plus tard, passé des années à y chercher la maison de ses rêves, jusqu’à retrouver la mer ronde, fessue, qui n’avait plus rien à voir avec lameradovil, les vagues couraient empotées, laiteuses fillettes obèses, et voilà la quête qu’il nous livre depuis La Hague quittée comme un membre fantôme… où une usine atomique allait être construite contre des promesses d'emplois, où Prévert va acheter une maison pour y mourir.
Or donc… écrit Didier Decoin dans ces belles pages autobiographiques, je venais d’épouser Chantal née Proust ! Quand VSD m’envoya interviewer Yves Montand qui tournait avec Joseph Lauzet « Les mers du sud » dans un décor détrempé dans la Hague ! L’aventure est trop belle quand il comprend qu’il est incapable de s’orienter à travers ces maisons ventrues humidifiées comme si, avec Chantal, il réalisait que la mémoire défaillante, n’est que la vengeance ironique du temps qui passe. Mais peu importe que ce soir-là, la rougie de la mer courant comme un incendie, ne fulgura qu’une poignée de secondes, Chantal était conquise et décida qu’ils allaient acheter une maison par ici ! Seul le rituel de l'écrivain en fait un sédentaire… Avoir une maison est un des fantasmes les plus partagés ,comme un rêve amoureux, comme un prolongement de soi. Didier Decoin va plus loin quand il dit « j’ai fait ce livre pour dire que je n’habite pas une maison, mais que je suis habité par elle ».
Il lui aura fallu plus de deux ans et demi pour acquérir la maison moche aux tuiles rouges… idéalisée pendant des mois alors qu’elle se révèle n’être que deux logements de pêcheurs réunis par le percement du mur citoyen ! C’est une laideur tranquille… où depuis le mitant du lit ou la baignoire on voyait la mer… pourtant, si comme l’amour, la vue sur la mer est quelque chose de connu et partagé par des millions de gens, le cercle est restreint de ceux qui connaissent les mœurs du tourne-pierre à collier, et qui savent, au premier coup d’œil, différencier le grand cormoran huppé et la mouette rieuse de la mouette pygmée. C’est bien le vocabulaire marin qui va nous faire rêver. C'est la magie du langage de l’écrivain, qui depuis sa soupente découvre une vue époustouflante à 180 degrés de paysage maritime, et qui pour transmettre son émotion s'imagine Chantal et lui comme deux écureuils hilares dans les escaliers raides comme des haubans, grimpant dans la maison comme dans la mature d’un navire, de la dînette à la vergue de grand hunier et de là au petit cacatois ».
Avec vue sur la mer, on saisit l’insoutenable mélancolie qu'il y a à fermer une porte pour la dernière fois. En s’éloignant ce n'est pas seulement une maison qu’on quitte, mais tous les habitants, le goût des tempêtes du haut de son nid de pie bureau. Chantal partie en cabotage chez les commerçants. Connaître les cartes météo mieux que le vieux paysans où pêcheurs. Peut-on quitter l’âme d’une maison ?
Avec vue sur la mer
Didier Decoin, de l’académie Goncourt
NiL Éditions (2005)









