Séparer le bon grain de l'ivraie, qu’ai- je fait d'autre au cours de ma propre vie ? S’interroge Alain Rollat dont le nom vient de ses ancêtres qui indiquait la pratique du rouissage, soit séparer les fibres utiles du textile de celles qu'on n'utilise pas dans la confection des tissus. Moi qui faisait profession de « diseur de vérité »… ce fut, pendant soixante ans mon quotidien journalistique. C’est une belle profession de foi qu’il nous livre sur les chemins escarpés de Coustouges, ce village catalan devenu à ses yeux le centre du monde, au point de l’avoir fait rentrer délibérément dans les archives du « Monde ». Puisque qu'il considère que du haut en bas de l’échelle, la responsabilité des fautes commises par les élus est partagée par ses électeurs il se dit que Coustouges est un parfait point d'observation, pour un journaliste qui se vit en entomologiste du microcosme politique. Nous y voilà , Alain Rollat qui en a décortiqué les mœurs pendant plus de trente ans en particulier dans les colonnes du Monde va nous parler de la société française en comparant son vécu professionnel au niveau national à sa vraie vie de citoyen dans ce village pyrénéen où il s’est désormais posé. Mais rassurez-vous, s’il a conscience d'avoir bassiné ses auditoires en leur lançant à la figure la modestie de son village, il s’en garde bien dans ce livre où l’on sourit souvent de la comédie humaine qui se joue au pied du clocher comme dans les plus hautes assemblées.
Prenons Mitterrand, monstre de complexité qui incarnait un espoir pour le peuple, souffleur de mythes, rose à la main en
1981. Dix ans plus tard c'est fini. Qui était-il vraiment ? s'interroge Alain Rollat, il restera pour moi « Le Joconde », comme un pendant au mystère de l’identité de La Joconde. Il y a une zone grise dans chaque homme qu'on ne peut pas découper comme un saucisson. La vérité Journalistique est toujours plurielle mais quand on prétend raconter dans une chronique la vie quotidienne d'une communauté comme celle du village de Coustouges, on peut aussi se faire traiter de « Bandit parisien ». Évoquer les ambitions du nouveau maire qui voulait « changer la vie des Coustougiens… » comme l'avait promis François Mitterrand en 1981 ne valaient certes pas à Alain Rollat les démêlés autrement plus réels qu'il avait avec l’extrême droite pour ce qu'il écrivait dans Le Monde, mais tout de même l’exercice était révélateur et d’ailleurs quand Coustouges a basculé vers le Front National, ce n’était pas le fait des seuls chasseurs de sangliers. Pour Alain Rollat, il n'y avait aucune discontinuité entre la France des sommets urbains qu’il observait depuis Paris, la France des banlieues où il vivait depuis son arrivée en Seine Saint-Denis et les profondeurs rurales, celle de Coustouges.
Mais pourquoi Coustouges où on le traite parfois de Sétois, et non pas Sète dont il est originaire même si, c'est le comble pour un Sétois, il est né à Montpellier à cause de la guerre. Sète qui est mon point d'ancrage immuable, ma bitte d'amarrage, insiste Alain Rollat, dont la mémoire me murmure que je suis né, en vérité, à l'âge de six ans, lors de mon retour de Saïgon où avait été affecté mon père. En revenant à Sète à neuf ans, Alain n’était plus un enfant , il se rêvait en aventurier. Il découvre le quartier haut, l’école Paul-Bert, la plage de la Corniche, l’anse de la Nau où son père l’a appris à nager. Cependant, adolescent, c'est Le Prytanée militaire de la Flèche qu’il vit comme un exil, mais avec des prof triés sur le volet de l'élitisme , si bien que lorsqu’il retrouve le lycée Paul Valéry, il est devenu le Sétois de l’étranger et il n'y restera d’ailleurs pas longtemps, avant Montpellier et le Midi libre, puis Paris au journal « de référence » Le Monde. D'où ce questionnement qui persiste : Mais quel Sétois suis-je donc aujourd'hui ? Pourquoi ne pas s’aider de la formule de Paul Valéry sur l' identité française qui est un mélange d'arbre greffé plusieurs fois dont les fruits résultent d'une heureuse alliance de sucs et de sèves très divers concourants à une même et indivisible existence… À Sète, depuis la création du port et de la ville, le métissage est un processus continu écrit Alain Rollat. Et de conclure : Le Sétois de souche est un personnage de fiction.
Quant à Coustouges, c'est le village de Josy qu'il va épouser et qui deviendra au-delà de son refuge pyrénéen, son vécu citoyen, son nombril du monde. Et l'actualité la plus récente lui donnera raison. Le conteur qui lui apprendra la nature aussi bien que l’histoire des républicains espagnols et de la résistance sur ces crêtes frontalières en feront un amoureux définitif de cette Catalogne, au point de souhaiter que ses cendres soient dispersées sur le « Cami de la Pedra Dreta ».
Alain Rollat sera ce samedi 22 juin à 11h au Bar du Plateau à Sète pour un Rendez-vous des Automn’Halles avec Yves Izard.
Mémoires du Centre du Monde
Alain Rollat
Cap Bear Éditions
Mars 2024 - 260 pages - 18 €
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