“De joyeuses funérailles” de Ludmila Oulitskaïa
On entre dans ce livre de plein pied comme dans un moulin qu'est devenu l’appartement d’Alik… Sorte de loft d’artistes, où les hôtes de passage dormaient dans un coin... dans la chaleur torride de l’été new yorkais, dans l'air transformé en bouillon à la limite de la phase solide. La douche était toujours occupée.. On faisait la queue pour y aller. Il y avait cinq femmes dans la pièce personne ne portait plus de vêtements sauf Valentina, avec son bustier rouge.… Puis Il y avait Alik allongé sur un large divan..il était en train de mourir.
On découvre de pages en pages une galerie de portraits, sa femme Nina avec une croix en or, l'une de ses anciennes maitresses Irina, jadis acrobate de cirque, aujourd'hui avocate aux honoraires élevés, et sa fille surnommée Tee-shirt, des peintres géniaux ou pas, Fima, le médecin de la troisième génération, sans diplôme officiel, tout noueux dont les yeux clairs et lumineux regardaient Berman avec espoir , Berman si intelligent, diplômé et bel homme bien qu'il eût quelque chose du grand singe, qui finit par déclarer pour Alik: Il n’y a rien à faire.
Enfin il y a la voisine italienne , Joïka venue dans cet endroit, apprendre le russe. Car nous sommes chez les Russes et comme l'écrit Ludmila Oulitskaïa , et chez les Russes émigrés, cet acte de quitter la Russie qu'ils avaient accompli les apparentait. Ainsi pour ces émigrés russes des années 90 la fin de Gorbatchev et le coup d'Etat sonnaient comme un drame antique où le passé avait fait de nouveau irruption dans leurs vies avec un épilogue irrationnel indiscutable NOUS avons gagné ! Cette communauté haute en couleur qui entoure le peintre agonisant veut que la fête continue, alors que Nina ne pense qu'à sauver l'âme de son homme et finit par persuader Alik de se faire baptiser: Bon, d'accord, amène-le, ton pope ! Mais à une condition: tu feras aussi venir un rabbin. Car la drôlerie côtoie le drame, et c'est tout le talent de Ludmila Ouliskaïa de peindre sans pathos excessif l’âme slave qui se heurte à l’univers américain comme le constate Fima : Ce pays détestait la souffrance, il la niait sur un plan ontologique… Ils avaient inventé des écoles philosophiques, psychologiques et médicales pour éviter à l'homme de souffrir. Le cerveau russe du docteur avait du mal à assimiler cette idée. La terre sur laquelle il avait grandi aimait la souffrance et la valorisait… Pire, pour le sang juif elle était un élément vital.
Mais comme si rien n'était incompatible, Ludmila Oulitskaïa va nous proposer des funérailles pas tout à fait ordinaires pour réunir une foule hétéroclite comme dans la chanson où Moscou, Kalouga, Los Angeles ne forment plus q'un seul kolkose !
Comme d'habitude Alik avait fait quelque chose d'inhabituel : Il y a trois jours, il était vivant, ensuite il était devenu mort, et, maintenant, il se trouvait dans un état intermédiaire et bizarre depuis que Tee-Shirt avait introduit une cassette dans le magnétophone d'où surgissait la voix d'Alik. Il avait ainsi démoli en une seconde le mur séculaire …..il avait simplement tendu la main à ceux qu'il aimait.
De joyeuses funérailles
Ludmila Oulitskaïa
Éditions Gallimard
Parution : 1999
Traduction française : Sophie Benech









