FESTIVAL DU LIVRE DE SÈTE
16e AUTOMN’HALLES
DU 24 AU 28 SEPTEMBRE 2025
à nous envoyer vos nouvelles,
découvrez ici les 4 gagnants.
Les 4 nouvelles récompensées sont à découvrir dans un recueil édité par Les Automn’Halles et disponible en téléchargement gratuit ici.
LE BLOG DES AUTOMN’HALLES

Romain Potocki, grand reporter, journaliste, réalisateur et photographe—invité des Automn’Halles en 2013 pour son premier ouvrage L’homme itinérant —nous livre son premier roman qui s’annonce sur le bandeau comme « un petit miracle de style, d’humour et d’émotion » . Le lecteur en aura la confirmation. Le roman commence par un court prologue dont le premier mot « librairie » campe le lieu phare du récit et on devine instantanément son importance. Un homme revient sur ce lieu et trouve la librairie Sophie fermée. Pourquoi, qui est cet homme et quid de cette librairie ? Et le titre du roman ? Retour au passé, l’histoire peut commencer, racontée avec son propre langage par un adolescent de banlieue précaire et mal famée. Son mal-être s’aggrave par une sorte d’infirmité de parler qui le force à s’enfermer dans une solitude malsaine. Il entretient avec sa mère, qui n’a pas sa langue dans sa poche et ne rate pas une occasion de l’enfoncer encore plus dans son trou noir, une relation complexe dénuée d’amour et de tendresse. Il est la proie des moqueries des autres jeunes ; son monde est pour lui un enfer. Heureusement, il y a le toit de son immeuble au-dessus de ses 22 étages, auquel il a accès grâce au gardien de l’immeuble qui lui en a confié les clés. Ce personnage est la première « bonne fée » du récit. Que fait-il sur ce toit ?— Tu peux pas imaginer comment c’est haut, le toit du monde. Et surtout comment c’est grand… De l’air partout… du silence aussi… Et en dessous ma cité, comme jamais je l’avais vue. Et la mer, là-bas, à l’autre bout d’la ville…c’était ouf ! —il cultive du cannabis, loin des dealers du quartier. Sa mère tombée gravement malade, il doit trouver de l’argent. C’est alors qu’une autre bonne fée entre dans sa vie en la personne de Sophie la libraire, figure hors du commun, un peu déjantée, rompue aux malheureuses vicissitudes de la vie, mais d’une immense générosité de cœur et d’esprit. Elle ouvre les yeux de l’adolescent au monde totalement nouveau pour lui de la littérature et de l’amitié vraie. Elle sent chez lui des capacités et met tout en œuvre pour l’aider à s’émanciper de son malheur. Grâce à elle, l’adolescent découvre le pouvoir phénoménal et irrésistible du livre. À un certain moment, on apprend qu’il s’appelle Robert, prénom parfaitement inadapté à lui, l’enfant à la peau basanée, alors il prend le surnom de Tistou, nom d’un héros de livre d’enfant. Et ce Tistou les pouces verts l’inspire pour bâtir son jardin suspendu sur le toit de sa cité : il y sème des fleurs de toutes sortes et le miracle de la fascination se produit. Elles sont pour lui source de bonheur et de beauté. Mais aussi source d’ennui car elles sont l’enjeu d’un deal avec Jo El Ghaïd, le caïd du quartier, qui lui permet de faire commerce avec ses fleurs, mais pas avec la drogue dont il garde le monopole. Et Tistou, dans une espèce de naïveté, poussé par le courage du désespoir, se jette dans le combat contre la misère et la violence, jusqu’à risquer sa peau ou même sa vie, il y perd un pouce pour commencer. Mais son attirance pour son jardin—un espace de liberté et de créativité—et pour la librairie—une rencontre avec la littérature et des personnages cabossés à l’esprit libre et fantasque—lui donne espoir et réconfort. Toutes ces figures loufoques qui fréquentent la librairie atypique sont très attachantes, à commencer par Sophie la libraire anticonformiste, au milieu de cet endroit où y avait un truc comme sacré ; devant Sophie qui savait vraiment bien écouter , lui le bègue, il ose se lancer dans le vertige des mots. Il y a aussi Moustache, l’ancien légionnaire exerçant la profession de jardinier, qui se révèlera un véritable ami prêt à tout pour sauver Tistou. L’auteur réussit avec sincérité et des mots simples qui sonnent juste à faire évoluer tous ces personnages sur le chemin difficile de l’apprentissage de la vie, en équilibre précaire entre la rudesse de la réalité et la poésie, entre la nécessité de survivre et le rêve. Des plantations florales aux expériences de lectures, d’émerveillements en déceptions, de victoires en défaites, Tistou apprend à résister : « Un autre monde est possible » ; et son horizon s’élargit. Son esprit aussi. Particulièrement touchante est la transformation de sa relation avec sa mère malade, qui, de la rudesse originelle atteint enfin la tendresse et le dévouement, dans l’intimité et le partage. C’est par la lecture d’un extrait de Le monde commence aujourd’hui de Jacques Lusseyran que le fils et la mère nouent enfin le fil de l’amour : J’sais pas comment j’le savais, mais cette nuit-là je pourrais le jurer, ma daronne m’a dit merci . D’introspections personnelles en dialogues incisifs jouant d’humour et d’émotion, la magie du récit opère, entrecoupé d’interludes poétiques comme des respirations salutaires entre les avalanches de mots et d’idées qui se bousculent et cherchent la lumière. Le roman évite l’écueil de la caricature par la justesse et la sensibilité de l’écriture. Tout simplement bouleversant ! Le jardin dans le ciel Romain Potocki Éditions Albin Michel (2025)

Une auberge au bord des falaises près de Bristol (Angleterre), un adolescent auquel son père mourant lègue le seul livre qu’il n’ait jamais lu, un vieux loup des mers lui confiant, entre les pages, une mystérieuse carte… Et nous voilà plongés dans une réinterprétation de l’œuvre de Robert Louis Stevenson, L’île au trésor . Rhys Landor, le jeune héros, s’imagine en Jim Hawkins. Il gagne seul un Bristol intemporel qu’aucune référence datée ne rattache au réel. Il retrouve un médecin charitable, le Dr Pingleman. Ce dernier l’entraîne dans son rêve fou d’embarquer sur une réplique de l’ Hispaniola . Le navire mythique de Stevenson, créé pour les besoins d’un film par son ami cinéaste William Bostry, va bientôt prendre le large. La nasse se resserre sur nous alors que l’aventure prend doublement corps. L’écrivain nous plonge dans l’illusion où comédiens (faux marins) et figurants (vrais contrebandiers des mers) s’entremêlent. Le présent et le passé, réalité et rêve se confondent, comme l’affectionne Hubert Haddad, à différents niveaux (livre de Stevenson dans son livre, film dans le livre). « Rhys vivait dans un monde redoublé d’un grand miroir de mots » glisse l’auteur. En effet, le récit avance en des jeux de miroirs, comme les deux navires, l’ Hispaniola et le Reckless , chargé de le filmer. De prime abord, le roman réveille nos souvenirs enfantins, l’émerveillement des premières lectures, l’imagination toutes voiles dehors. Le foisonnement des descriptions et des personnages sortis de L’île au trésor et du livre nous y incite, dans un rythme enlevé. Des rebondissements à multiples détentes, quand on croit suivre le chemin du trésor, nous perdent jusqu’au final, dont nous ne divulguerons rien. Mais le récit s’emballe, le suspense s’accélère dans la seconde partie du roman, reléguant la recherche du trésor au second plan. Nous voici saisis par « la danse ensorcelée des ouragans » , tempête des éléments et déchaînements humains, quand les masques tombent en même temps que les cargaisons clandestines. L’humour, présent dans la constitution des personnages et des scènes, avec le capitaine Frog, le lieutenant Memory, le Cyclope, Poing-Clos ou Pretty Fox, vire au sombre, au très sombre. Peut-être le héros, double rêvé de Jim Hawkins, cherchait-il aussi à retenir entre les pages, comme la carte glissée par le Contre-amiral de la Pêche-aux-clous, le fantôme de ce père disparu, nous emportant dans sa quête initiatique à travers la mer d’Irlande. Avec l’innocence victorieuse de Rhys, c’est le pouvoir de l’imagination qui triomphe des combats maritimes et intérieurs. Depuis cet ouvrage, paru en 1994, que les Éditions Zulma ont eu la bonne idée de rééditer en collection de poche, Hubert Haddad a tracé son chemin en quelques récits majeurs, couronnés par un Grand Prix de littérature de la SGDL (2013) . Meurtre sur l’île des marins fidèles Hubert Haddad Éditions Zulma (2024)

Qui se cache derrière ce perdant magnifique ? c’est la première question que le titre de ce roman, pour le coup magnifique, suscite. Il apparaît au début du livre, un homme fatigué qui semble au bout du rouleau. Il s’appelle Jacques, il rentre d’un séjour professionnel en Côte d’Ivoire chez lui, au Havre, où vivent sa femme et ses deux belles-filles, Anna et Irène. C’est à travers le regard et la voix d’Anna, la narratrice, que se dessine le portrait de son beau-père, que ressort le passé marqué par les vicissitudes d’une vie de famille recomposée. Jacques, parlons-en : figure aux facettes complexes et paradoxales à l’humeur fantasque, que l’on peut affubler d’une horde d’adjectifs contradictoires, car il est tout à la fois menteur, sincère, tyrannique, généreux, dépressif, rêveur, enthousiaste, dépensier, capricieux, noble, ridicule, bref, magnifique et pathétique. Dans sa folie, il provoque inconsciemment le malheur autour de lui. Il croit faire fortune en Afrique en s’accrochant à des affaires plus ou moins douteuses, mais il est incapable de gérer son argent, n’ayant aucune maîtrise des réalités matérielles et du présent. Elle —la mère— ne savait pas encore que, pour Jacques, cette vie était la seule qu'il aimait vraiment, celle où le présent n'avait aucune importance. Seul comptait le futur, l'utopie sans cesse réinventée, sans cesse prévisible. Étrangement, nous étions toutes les trois au centre de cette utopie. Nous en étions à la fois le cœur et le prétexte. Que penser et comment réagir face à cet homme qui débarque peu avant Noël et tel un fou, achète un grand nombre de meubles chez un antiquaire—dont un bonheur-du-jour —(tout un programme !), faisant totalement fi de l’état précaire de ses finances ? il veut être le porteur de bonheur mais il plonge sa famille dans les tourments des dettes. Il ne s’arrête pas là, car par amour pour Irène qui aime comme lui la musique, il fait livrer sans prévenir un magnifique piano. Car Jacques a une affection infinie pour ses belles-filles, il leur donne des ailes : Nous avions inventé avec un autre quelque chose de plus amusant, de plus excitant qu’une famille. Nous avions en commun avec Jacques, la phobie de la routine, le goût de vivre des moments étranges, comme nos conversations nocturnes. Il a une relation particulière avec Anna. Celle-ci raconte Je lui tenais compagnie, soir après soir. Je n’aurais pas supporter de rester dans ma chambre, sachant qu’il allait se réveiller dans le salon vide et commencer ses errances nocturnes . Nous avions toujours été les deux couche-tard de la maison. En même temps, Jacques pèse sur leurs vies— sa présence nous faisait l’effet d’une main de fer posée sur nos journées. Et quand il n’était pas là, il pesait sur notre vie d’une autre façon. Cependant, les deux sœurs trouvent leur force de résistance. Quand elles se retrouvent seules après le départ de leur mère pour rejoindre Jacques en Côte d’Ivoire, elles éprouvent l’étrange sentiment que nous formions un tout, une sorte de Trinité, décidant du sort de Jacques. Il avait beau imprimer sur nos vies, le chaos de ses décisions, nous nous sentions, d’une certaine manière, toutes puissantes, et peut-être l’étions-nous. L’autrice montre les difficultés à maintenir l’équilibre incertain d’une vie familiale confrontée à la précarité, à l’insécurité, aux assauts des huissiers, aux fantasmes du père, à son emprise sur la famille ; cette famille qui oscille entre la fascination et la répulsion, l’envie—ou est-ce le besoin ?—de croire au bonheur et la constatation de la triste réalité, la peur qui rôde et le désir de s’en sortir. Un sentiment ambivalent habite Anna ; elle balance entre la tendresse pour les moments joyeux et fantasques et l’inquiétude devant l’inconscience du beau-père, qui vit dans la démesure, qui est un perdant qui se voit gagnant. Quand Jacques est mort, sûrement ai-je éprouvé de la culpabilité… Mais ce n’est pas la culpabilité qui me fait écrire aujourd’hui, je crois. En tous cas pas celle-ci. Plutôt la culpabilité de l’avoir d’une certaine manière, abandonné, de ne pas lui avoir rendu justice, ou d’être restée du côté de ce qui était raisonnable, tandis qu’il ne vivait, lui, que dans la démesure. Anna est tiraillée entre la loyauté envers sa mère qui souffre et sa fascination pour Jacques. Ça va aller, c’était la seule phrase qui me venait à l’esprit, et je savais que je ne devais pas la prononcer. Prononcer cette phrase, c’était me débarrasser d’elle et de toute cette poisse, cette situation à laquelle je ne parvenais pas à m’intéresser vraiment et dont je ne mesurais pas la gravité. Comme Irène, au fond, j’étais secrètement soulagée que les meubles restent. Je me préoccupais de la réaction de Jacques. Revendre ces meubles, c’était le trahir. Pourtant c’était bien lui qui avait trahi ma mère en les achetant à crédit. Pourquoi est-ce que je n’en voulais pas à Jacques ? Pourquoi est-ce que j’attachais plus d’importance à sa déception, si les meubles étaient revendus, qu’au désespoir de ma mère devant le gouffre de leurs dettes ? L’écriture de Florence Seyvos est tout en nuances, en délicatesse, pour évoquer la fragilité mais aussi la force de la jeunesse, pour évoquer la musique de la mélancolie du temps passé. La musique est présente dans le livre ; on chante des chansons allemandes (seraient-elle nazies ?) mais aussi Bella Ciao , (c’est réconfortant !) ; on y écoute The Needle and the Damage Done de Neil Young. Florence Seyvos, tout en soulignant l’ambiguïté des sentiments, (on ne sait pas, tout comme Anna, si on doit retenir la face attachante du beau-père ou sa face toxique), réussit avec grand bonheur une peinture fine et subtile des complexités des relations humaines. Un perdant magnifique Florence Seyvos Éditions de l’Olivier (2025)
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