FESTIVAL DU LIVRE DE SÈTE
16e AUTOMN’HALLES
DU 24 AU 28 SEPTEMBRE 2025
à nous envoyer vos nouvelles,
découvrez ici les 4 gagnants.
Les 4 nouvelles récompensées sont à découvrir dans un recueil édité par Les Automn’Halles et disponible en téléchargement gratuit ici.
LE BLOG DES AUTOMN’HALLES

L’année d’avant Apprendre à finir , quand on était encore, pour un an, dans le siècle de Sartre et de Claude Simon, Laurent Mauvignier sortait, à 32 ans, son premier roman, dense, volontairement irrespirable dans la mise en page, Loin d’eux . Une histoire de deuil(s) dans une famille modeste, une histoire jamais dite. Ou bien à mi-texte , dans une généalogie dont il faut sortir le père (Jean), la mère (Marthe), mais aussi l’oncle Gilbert, la tante Geneviève, Luc, le fils, Céline, sa cousine. Autant de personnages qui deviennent narrateurs, directement ou indirectement, dans cette famille— ceux d’ici —où on espère et on attend que le bonheur vienne à nous . Luc a quelque chose en lui qui ne veut pas grandir , pensent ses parents, qui s’agacent de son inaction—les heures passées dans sa chambre, cette zone de rêves aux affiches de vieux films de cinéma—mais prennent de plein fouet son départ pour Paris, son travail de serveur (sartrien), dans un bar. Le constat que ce sont les choses irritantes qui manquent le plus, malgré les lettres qu’il envoie, qui rassurent en peu de mots, lesquels ne trompent personne. Parce chacun de ceux qui restent a sa propre vision de ce qui a généré l’absence, et le non-dit : la mère— qui s’est enfermée dans des intonations qui ne manquaient pas d’avoir été prélevées dans la voix de (mon) père, souvent —s’est protégée d’un Luc il pense à autre chose bien pratique ; le père—qui a connu l’Algérie, un filigrane dans le travail de Mauvignier—aux mains qui se sont fondues dans la peinture bleue de l’usine, qui aurait voulu qu’il vienne au moins une fois pour voir là où la vie m’écrasait mais n’a jamais su lui dire autre chose qu’il le comprenait quand il ne le comprenait pas. Lui, il vaut mieux que ce qu’on a eu , ça a été leur seul credo, qui ne tiendra pas quand l’absence se fera plus marquée, plus définitive. Parce que la famille est frappée par la mort, doublement, une première fois quand le mari— courageux , ce qui vaut toutes les valeurs, dans ce milieu—de Céline se tue en voiture. On n’a jamais bien su dire les choses , lâche Gilbert, quand Luc voit dans le cérémonial des funérailles une mise en scène patraque : une dégringolade des mots sur le malheur . Il exhorte sa jeune cousine à ne pas se laisser déterminer par ceux qui la restreignent à ça, désormais ( Ils ne veulent pas que je vive ), quand lui est pris par ses propres démons—son invisibilité, ses bruits dans sa tête —qui l’emporteront, ne laissant qu’un Post-It jaune griffonné au stylo Bic, ouvert sur deux points qui ne démontrent rien. J’aurais jamais cru comment ça tournerait, la vie : les propos qu’il a tenus à la mort du mari de sa cousine se retournent contre ou sur lui, quand dans le même temps, en Hamlet moderne, il sait que mourir c’est pareil que dormir . On sent qu’ils taisent ce qu’ils portent , dit-on de ces gens simples : peut-être qu’un homme ça vit les choses dans le silence , avance-t-on comme explication, quand Geneviève lâche, elle, un Qu’est-ce qu’on n’a pas su ? qui ne dit rien de l’acrimonie—inavouable—qu’elle voue à son neveu, lequel a perverti le deuil de sa fille. On est à quelques heures de Paris, en pleine campagne, dans les années 80, à la louche. Il y a une belle relation entre les deux cousins— depuis l’enfance nous gardons nos secrets, moi et Céline —mais elle ne sera pas le sujet du récit d’un éloignement culturel avant d’être géographique. C’est un roman sur le conflit des générations, diraient les sociologues d’aujourd’hui, mais c’est surtout un récit sur le non-dit, le silence et les non-dits qui bouffent tout, à une époque où parler ne se faisait pas, dans ces milieux. C’est pas comme un bijou, mais ça se porte aussi, un secret , lit-on en incipit. Un roman sur le conditionnel passé—le mode du regret—quand le père, dépassé, se dit peut-être, on aurait pu , se rappelant que Luc, profitant de l’absence momentanée de sa mère, a concédé une fois les bruits , ces choses sans nom qui vous tordent le ventre . Le drame —le sien, le leur—tient lieu de conséquence d’un indicible trop écrasant : peut-être il était mort, Luc, des mots enfouis . En en parlant, je ne dévoile pas l’action, que le roman intègre par strates de narrations, par la structure même du récit, en deux parties, dont la 2 e en comprend deux ; l’écriture, disais-je, est très dense, s’interrompt, parfois, pour passer à la ligne, dans un rejet abrupt. Les narrateurs sont rappelés dans le récit pour que l’énonciation soit fluide, on veut savoir ce qu’il adviendra de ces hommes frappés par le sort comme s’ils étaient programmés pour ça. On lit des scènes de village qu’on lirait dans Flaubert et pourtant le récit est contemporain, c’est dire, en soi, l’anachronisme qui pèse sur ceux qui y habitent. Ceux d’ici , en opposition à ceux qui rêvent d’ailleurs ; un ailleurs qui ternit tellement les affiches de cinéma—Jean Seberg, Greta Garbo, Marlene Dietrich, Gary Cooper, par-dessus tout—que les acteurs semblent se parodier eux-mêmes et perdent toute forme de conviction dans l’illusion. C’est un roman sur l’effacement, de soi, des autres, de ce qui est censé faire la vie. Laurent Mauvignier sera l’invité du Grand Entretien des Automn’Halles le jeudi 25 septembre 2025 (informations à venir). Loin d’eux Laurent Mauvignier Les Éditions de Minuit (1999)

« Imaginez un pays minuscule, imaginez-en un autre gigantesque. Imaginez maintenant qu’ils s’affrontent ». Nous ne sommes pas en Ukraine en 2022 mais en 1939 en Finlande. En novembre 1939, à des fins politiques de prise de contrôle de territoires, la Russie de Staline imagine un conflit rapide et efficace avec son petit voisin, la Finlande. Histoire de lui prendre par la force ce qu’elle refuse de lui céder par traités. Elle n’en fera qu’une bouchée, c’est l’histoire de quelques semaines, jure-t-elle. Mais c’est sans compter sur la réalité du terrain, la morsure de l’hiver avec des températures à –50°, et surtout, sur l’opiniâtreté, la fierté, l’amour de leur jeune nation indépendante depuis seulement vingt ans, que les Finlandais défendent avec beaucoup d’intelligence jusqu’au bout de leurs forces. Le décor est planté dans les forêts finlandaises nappées de blanc, neige et glace mêlées. Y figurent Simo Häyhä, lauréat du championnat national de tir des Gardes civiles de Finlande et ses amis Onni, Toïvo, Pietari, tous paysans le jour et tireurs d’élite le soir, une manière de se divertir, de parcourir le pays au gré des concours de tirs. Ils tuent du gibier, un peu, pas trop, juste pour se nourrir. Jamais ils n’auraient imaginé devoir tuer pour sauver leur peau. C’est pourtant dans ces forêts qu’ils connaissent par cœur, qu’ils vont affronter les soldats russes pendant trois mois de combats sans trêve connus sous le nom de « guerre d’hiver ». À leur avantage la parfaite connaissance du terrain, les astucieux stratagèmes de camouflage grâce à leurs uniformes blancs, les déplacements rapides à ski, les ordres pragmatiques et réfléchis des officiers, leur désir d’en découdre aussi. À leur désavantage, le nombre, le matériel sophistiqué des envahisseurs et la solitude. La mollesse avec laquelle la France et la Grande-Bretagne prennent des décisions… qui fait que le conflit sera terminé avant qu’elles n’agissent. Mais dans la forêt épaisse trouée par des lacs gelés, là où circule un véhicule léger, un char soviétique peine ou coule sous la glace qu’il écrase. Là où le moral des troupes est sans faille, dans le rang adverse, la peur de déplaire au Chef Suprême fait commettre des erreurs de débutants sur le terrain. Ou des absurdités : « Je ferai en sorte que nos régiments soient accompagnés d’un orchestre pour célébrer les victoires les unes après les autres jusqu’à la capitale, car après tout… Ce n’est que la Finlande. » Les revers de médailles que subit l’Armée rouge irritent Staline, la honte devrait l’anéantir mais il s’obstine. Il gagnera bien entendu, mais Hitler n’est pas dupe et saura se souvenir de cette piètre victoire… Toute la puissance et la force du roman tient dans la construction du récit et la maîtrise de l’auteur connu pour ses romans policiers. Des chapitres courts, des allers-retours dans les tranchées finlandaises et russes ; dans les bureaux des états-majors ou dans les expéditions nocturnes ; des conditions de vie à la limite du supportable, très minutieusement décrites ; la rudesse du climat sans cesse évoqué. « Il était debout, immobile comme tout tireur d’élite se doit de l’être, dissimulé derrière le large tronc d’un pin sylvestre, le long canon de son fusil recouvert de gaze blanche posé sur une branche pour éviter la fatigue, mais lorsque la balle le toucha en plein torse, celui-ci ne bougea pas d’un centimètre. Gelé comme la pierre, l’ogive ne le traversa même pas » ; tout contribue à mettre le lecteur au cœur de l’action et en osmose avec les protagonistes. Le roman est en cours de traduction dans de nombreuses langues, dont le finnois (site CultureTops). L’auteur est lauréat du Prix Jean Giono 2024. Les guerriers de l’hiver Olivier Norek Éditions Michel Lafon (2024)

Replonger dans Apprendre à finir un quart de siècle après l’avoir lu, c’est retrouver une langue qui a marqué le début de celui-ci, en s’appuyant sur un titre qui (me) renvoie à Jankélévitch, pour qui on n’apprend pas davantage à finir qu’on apprend à commencer : pour commencer, il faut commencer, et l’on n’apprend pas à commencer. Pour commencer, il faut simplement du courage , écrit-il dans Le Je-ne-sais-quoi et le presque rien , en 1980, et si Mauvignier reprendra pour lui le sujet du courage, c’est pour l’associer à la connerie , dixit celui qui doit réapprendre à marcher, après un grave accident de voiture. On n’imagine pas les Éditions de Minuit—fondées sur les règles du Nouveau Roman, en rupture avec les structures classiques du récit—se satisfaire d’un tel synopsis, c’est donc par un monologue intérieur, celui de la femme de la victime qui récupère son mari après de longs mois passés dans la chambre 903, dans la maison familiale, réaménagée pour l’occasion, que se jouera le roman. Là encore, les choses seraient simplistes si l’accidenté n’avait pas envisagé—échéance de quinze jours à l’appui—de la quitter, après qu’il a rencontré une autre femme. Pas une bonne femme , de celle qui épluche les oranges, mixe les légumes et prépare les soupes . Dès lors que le véhicule s’est encastré contre le mur— la voiture trop solide, les murs pas assez —il y a collusion des temps, de fait, chez celle qui reste : Elle (l’autre), c’est fini, elle n’existe plus , tout renvoie la répudiée à l’époque où on était ensemble . Littéralement, présent (de narration), passé (pour renvoyer à la colère, à la violence) et futur simple ( je n’aurai plus peur de la maison vide ) se mêlent, le conditionnel est suscité ( il faudrait du calme ) dans une langue débitée (phrases nominales, anacoluthes, sujets répétés) et pourtant (quasi) proustienne, dans ce qu’elle fait dire de l’anodin (le bouquet de fleurs, le vase idoine…) qui prend valeur de matière. C’est donc le récit intérieur (sur son vélo, parfois, en rentrant des ménages qu’elle fait chez… Albertine) de la radioscopie d’un amour, qui démarre par un maintenant qu’il était revenu éloquent. Et pourtant, ça avait eu lieu, avant , se souvient-elle, évacuant, de suite : on dit tellement de choses sous la colère . L’abandon ( son abandon de moi ), elle le dénie dans une boulimie de soins , enfouissant l’impression que l’autre nous repouss(e) en nous, sans savoir ce qu’il (lui) reprochait , c’est un classique que Mauvignier réinvente dans une métaphysique ( lutter pour vivre, c’était vivre contre moi ) associée à la stricte mécanique ( alors je sais pour l’avoir vu ce qui fait relever des corps ). On suit les progrès du miraculé ( le temps reviendra de l’ombre fraiche et des nappes étendues sous les chênes , quand on vous dit qu’on n’est pas loin de la Recherche !) via les pensées de cette femme sans nom, dont on sait juste qu’à force d’avoir laissé la salle de bains aux enfants le matin, elle a renoncé à s’apprêter et que, puisque les choses changent , elle est passée de la folie— s’ils avaient su dans ma tête les idées folles, le tuer, tuer ses enfants —à la résignation puis au nouveau fol espoir. Mais je n’aurai plus peur de rien , lâche-t-elle au mitant du roman— il n’y avait pas de place pour imaginer ce qui se passerait plus tard —avant d’être confrontée, de nouveau, dans la révélation d’un lit défait, à l’essence de ce qu’était devenue sa relation, retrouvée en une seconde dans l’œil de son fils aîné, qui lui demande, quand le père s’est enfin assis à la table familiale, si elle est contente , et qui répond de lui-même, c’est bien, c’est bien. Comme dans Sarraute (ou presque), tiens. Qu’est-ce qui se serait passé si j’avais laissé Philippe me dire ce qu’il voulait , ça occupe la deuxième partie du roman, quand les lumières de la Cité, le matin, l’éclairent sur l’illusion qui l’a nourrie, me rendre à moi le monde comme je l’avais voulu , quand elle préfère, dit-elle, rester sage dans ses mensonges. C’était tout ce qui me manquait qui le faisait l’aimer , lâche-t-elle dans un accès de conscience dont le lecteur ne saura (jamais) s’il s’avérera, au quotidien, tant nos vies—à tous—sont composées d’abandons et de renoncements. En 2000, Laurent Mauvignier confirmait par ce (2 e ) roman un sens aigu de l’analyse et une écriture à part, pointilliste dans l’inutile, qui finit par faire sens ; les cercles concentriques d’ Apprendre à finir tiennent le lecteur et recomposent l’histoire d’une vie, dont l’essentiel ne fait pas sujet (on devine que le mari a connu l’Algérie, son baptême en avion, ce qui pourrait expliquer sa violence, mais Mauvignier préfère s’attarder sur le voyage aux Baléares gagné à Intermarché) mais réside dans la télécommande du téléviseur et les outils qui rouillent dans la cabane de jardin. Le tout composant une réflexion sur la solitude dans le couple qui n’a pas pris une ride, en un quart de siècle. Laurent Mauvignier sera l’invité du Grand Entretien des Automn’Halles le jeudi 25 septembre 2025 (informations à venir). Apprendre à finir Laurent Mauvignier Les Éditions de Minuit (2000)
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