FESTIVAL DU LIVRE DE SÈTE

15e AUTOMN’HALLES

DU 25 AU 29 SEPTEMBRE 2024

À vos plumes !


C’est le moment de révéler votre talent d’écrivain avec les Automn’Halles !


Les inscriptions sont ouvertes jusqu’au 1er décembre 2024


On a hâte de vous lire !

LE BLOG DES AUTOMN’HALLES

par Marie-Ange Hoffmann 01 nov., 2024
La narratrice et protagoniste de ce roman de Claudio Morandini est une jeune ethnomusicologue qui arrive de la ville à Crottarda, un village de montagne quasiment toujours plongé dans l’obscurité car le soleil n’y brille que très rarement. Le décor d’une histoire noire est déjà planté. Les maisons, les murs et même les rares enseignes et les quelques bancs où personne ne s’assied jamais, ainsi que les panneaux routiers, sont toujours tapissés d’une épaisse mousse sombre . La jeune femme veut étudier les chants mystérieux qu’elle attribue aux bergers—chants qu’elle avait entendus enfant alors qu’elle passait des vacances dans ce village et dont elle garde un souvenir marquant et fascinant. C’est en scientifique qu’elle veut commencer ses recherches— Il faudra enregistrer les appels, les transcrire, analyser leurs composantes sémantiques, les déchiffrer, en tirer un répertoire : une perspective terriblement excitante, pour une chercheuse d’étrangetés musicales comme moi —mais les choses prennent une tout autre tournure de ce qu’elle escomptait et très vite, elle sent que tout lui échappe. Elle est confrontée à la présence d’êtres humains étranges et inquiétants, prenant la forme de monstres qui évoluent dans une ambiance de nature froide, humide et hostile. Elle ne sait si on l’accueille ou bien la rejette. Elle finira par ne plus rien comprendre à ce monde qui oscille entre réalité et illusion, rêve et cauchemar, attraction et rejet, lumière et obscurité. Les contours des personnages de cette communauté fermée sur elle-même sont flous et tordus, se fondant dans la noirceur qui engloutit. En face de ce village se trouve un autre village qui lui est baigné constamment de soleil. D’étranges sentiments d’hostilité sauvage et inexpliquée régissent la vie des deux villages. C’est un monde où la réalité s’englue dans l’absurde et le grotesque. Un piège se referme sur la narratrice dont elle ne peut se libérer, en proie à un sentiment de fascination/répulsion. L’auteur mêle la farce, l’humour, le comique aux aspects dramatiques et tragiques pour nous entraîner de main de maître dans cette fable à la magie fascinante. Ils oscillent, mes pauvres Crottardais, entre le besoin de se cacher et la nécessité de sortir à découvert, de respirer l'air de dehors ; entre l'exigence de s'exprimer et le mutisme, entre un festin des sens, de tous les sens, y compris ceux que nous autres ne savons plus exercer, et la fermeture de tous les orifices dans le silence, dans l'obscurité complète, dans l'absence de contact ; entre un au-dessus qui s'éloigne et devient inatteignable, ou qui écrase et oppresse, et un au-dessous dans lequel s'enfoncer, enfin, et continuer de nourrir du ressentiment et des inquiétudes ; entre humain et non-humain ; entre vivant et non-vivant. Les oscillants, ai-je envie de les appeler. Et je finis par me sentir un peu oscillante moi aussi. Les Oscillants Claudio Morandini Traduit de l’italien par Laura Brignon Éditions Anacharsis (2019)
par Laurent Cachard 01 nov., 2024
Le Bleu du lac , un roman de 2018, est une tragédie grecque. Du moins en a-t-il les apparences, et même les personnages, puisque Viviane Craig, la narratrice, fait le trajet de métro londonien qu’elle a toujours connu pour se rendre chez son amant, James Fletcher, mais elle le fait dans une sorte d’hébétude, en petite robe noire qui la gratte, pour assister à ses obsèques et jouer pour lui, dans l’église de St Anselme et de Ste Cécile —deux martys, dont la patronne des musiciens—à la demande intrigante de son exécuteur testamentaire, l’ Intermezzo de Brahms qu’il a toujours aimé, qui l’a toujours fait bander. Ce pourrait être tristement anodin, mais Viviane et James ont été des amants que rien ne prédestinait, surtout pas la vie maritale et heureuse qu’elle mène avec Sebastian. Qui l’a sortie un jour de son statut de Mme Bovary du piano —un seul disque enregistré vingt ans auparavant—pour la convaincre de remplacer un jour au pied levé le prodige croate Pogorelich à Wigmore, comme, se dit la narratrice, Anthony Hopkins a triomphé en substitute de Sir Laurence Olivier, ou Pavarotti, dans la Bohème . Cette amante ardente de Brahms connaît la gloire soudaine, les sollicitations, et accepte l’invitation à dîner de cet homme atypique, grand vulgarisateur télévisuel de la musique classique à la BBC. Ils deviendront des amants comme seule l’acception classique peut définir : des êtres qui aiment et qui sont aimés en retour. Connaîtront la plénitude dans le secret, jamais la culpabilité. Viviane, dans ce train de la District line, se dit qu’ils incarnaient, puisque c’est le mot, le mythe d’Aristophane— je n’étais plus rien d’autre que sa partie manquante, et lui la mienne —mais elle ne peut rien en dire, à personne, doit se convaincre qu’elle fait le trajet pour un enterrement à la place d’une étreinte, un cercueil à la place de son lit, qu’elle aura passé sa vie à vouloir échapper à un amour trop grand pour eux pour finir emmurée, comme une nouvelle Antigone : je me sens comme une héroïne de tragédie grecque sans avoir l’étoffe pour le rôle . Elle remonte leurs étreintes, son emprise, s’apprête à croiser ceux et celles à qui il aura brisé le cœur ou le nez —il pratiquait la boxe— par sa gueule d’ange et sa candeur, son uppercut impeccable et son sexe majestueux. Mais elle ne les verra pas, et s’en réjouit : faute de place dans le chœur, le piano a été placé à côté de l’orgue, en haut. On ne la verra pas non plus, elle n'aura qu’à laisser la musique ruisseler. Viviane doit vivre la brutalité— j’ai laissé la bombe éclater en moi —d’un deuil qu’elle ne peut dire à personne, qui fait écho à celui qu’elle a vécu dix mois avant, quand sa fille Laura s’est tuée bêtement, en glissant dans sa douche, le 11 septembre 2001, laissant les images se confondre avec une autre tragédie. Elle doit faire face, également, à la honte— l’addition de nos fautes fait aussi le prix d’une vie —quand l’un des drames prend le pli sur l’autre, inconsciemment. Quel sens a le deuil d’une femme mûre pour son amant , quand elle a vécu la plus absolue des tragédies ? La voix de Laura s’efface petit à petit de sa mémoire, concède-t-elle ; si celle de James devait s’éloigner elle aussi, alors je saurai que la vie ne vaut pas d’être vécue . James est mort en provoquant le diable, en n’écoutant pas les apnées du sommeil qui se multipliaient, refusant de masquer son beau visage d’un appareil respiratoire. Combien de temps faut-il pour mourir ainsi, se demande celle qu’on affubla du surnom détesté de Greta Garbo du piano —qui pourtant puisa la force de son jeu et de son mystère dans ses amours clandestines ? Moins longtemps que l’Intermezzo en Si bémol qu’elle doit jouer pour lui. Dire que nos vies se jouent ainsi, en quelques secondes… Comme toujours chez Mattern, les récits s’entremêlent sans qu’il ait besoin de les traiter tous. Au pire, il en fera un autre livre, lui qui aime jongler avec les similitudes, dans les prénoms—Gabriel, le gendre français, qui repart avec Simon, son fils, une fois sa femme disparue—comme dans le jeu des origines, ici l’identité populaires de James, la façon dont il a dû s’en défaire. On note celui in abstentia de Sebastian, son documentaire sur le Septembre noir , ses voyages à Munich et en Israël, dont il est rentré différent , sans qu’on en sache plus. La façon dont il intervient in fine —je n’en dirai rien ici—pour une chute qui redéfinit tout ce qui a été dit auparavant. Cette femme en robe noire, condamnée à un deuil clandestin , se jure qu’elle ira une fois par an là où son amant se recueillait, sur les rives du Lac d’Annecy, retrouver les reflets du Lac bleu de Cézanne, cette toile qu’il chérissait. Qui lui revient quand elle voit celui entre Wimbledon Park et Southfields, dernier aperçu de la nature avant de traverser la Tamise . Et cette question, lancinante : puisque son corps disparaît, son esprit, en suis-je (encore) la gardienne ou n’existe-t-il simplement plus ? Le bleu du lac Jean Mattern Éditions Sabine Wespieser (2018)
par Marie-Ange Hoffmann 01 nov., 2024
Le chien, la neige, un pied : un titre énigmatique qui sent le conte, à la manière de cet auteur pour qui le connaît (voir son dernier roman Choses, bêtes, prodiges ). C’est l’histoire du vieil éleveur de montagne (encore la montagne, le milieu naturel cher à l’auteur), Adelmo Farandola—son nom est à lui seul tout un programme —un clin d’œil à la farandole, danse à la fois de la vie et de la mort—l’homme vit en ermite dans une cabane perdue au fond d’un vallon inhospitalier, caillouteux et aride. Mais quel personnage ! Nous faisons sa connaissance alors qu’il descend au village pour s’approvisionner. Sa mémoire lui joue des tours—il ne se souvient plus y être venu la veille—Communiquer avec ses semblables devient difficile. À force de ne pas parler pendant de longues périodes, il peine à faire sortir les phrases et chaque mot lui semble imprononçable . Il préfère remonter dans son isolement. Le génie de l’auteur réside dans sa manière évocatrice, douce et brutale de nous entraîner dans cette farandole des sens où fusionnent la beauté et la laideur de la nature et des hommes. A l’horizon, la mort, au bout d’un chemin de misère où l’homme se perd lentement mais sûrement dans la folie. L’homme ne sent plus rien depuis un moment. Depuis qu’il a arrêté de se laver il est anesthésié à ses propres odeurs, et les pets qu’il lance la nuit sous les couvertures ne sont que de chaudes caresses, qu’il cultive avec une alimentation adéquate. Et nous faisons connaissance avec un deuxième personnage, le chien, qui surgit soudain sur son chemin et ne le lâche plus, si bien que notre homme bourru et solitaire se laisse adopter par lui ! Parfois le chien ressemble à un appendice de l’homme. Il reste à ses côtés, il se frotte contre son mollet, il ne perd de vue aucun de ses gestes, au point que même un coup de pied d’Adelmo Farandola ne peut pas l’éloigner, car tout en jappant, il fait quelques petits virages—pour jauger la douleur—puis il se remet à se frotter à son compagnon. Jusqu’alors, il menait des monologues, se posant des questions et donnant lui-même les réponses. A présent, c’est avec le chien qu’il s’entretient, et leurs conversations burlesques ne manquent pas d’humour ! Le chien craint de servir de rôti à son compagnon affamé, mais heureusement, celui-ci est protégé par sa crasse qui le nourrit en quelque sorte ! Tous les deux parviennent tant bien que mal à survivre au dur hiver. Et c’est alors qu’apparaît à la fonte des neiges le troisième élément perturbateur : un pied humain gelé ! Mais le pied de qui ? qui l’a mis là ? dans quelles circonstances ? les obsessions de notre homme s’enflamment et virent à la folie. Adelmo Farandola insultait la mère de la Faim, la mère du Froid, et aussi la mère du Sommeil, son ennemi le plus sournois, celui qui se présentait en ami mais qui en réalité voulait seulement que l'homme s'abandonne pour le livrer à la mort. Dans ce récit qui part d’un réalisme cru pour virer au conte fantastique, l’auteur nous parle de solitude, de vie et de mort. Étonnante appendice du roman où l’auteur dévoile sa source d’inspiration. Mais est-ce bien la vérité ? Avec Claudio Morandini, tout est remis en question dans le rythme endiablé de la farandole ! Une seule petite remarque quant au titre français, qui ne restitue pas la ligne mélodique du titre original : Neve, cane, piede , qu’il aurait peut-être fallu garder ? La traduction du roman est par ailleurs remarquable. Le chien, la neige, un pied Claudio Morandini Traduit de l’italien par Laura Brignon Éditions Anacharsis (2017)
Voir plus de chroniques

ENVOYEZ-NOUS UN MESSAGE

RECEVEZ NOTRE BULLETIN LITTÉRAIRE

Share by: