FESTIVAL DU LIVRE DE SÈTE

16e AUTOMN’HALLES

DU 24 AU 28 SEPTEMBRE 2025

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Découvrez ici les 13 nouvelles sélectionnées.


Les textes seront égrainés sur le blog des Automn’Halles jusqu’à l’annonce du Premier Prix et du Prix Spécial du Jury Sète et Bassin de Thau.


LE BLOG DES AUTOMN’HALLES

par Marie-Ange Hoffmann 29 mars 2025
Istanbul est une ville qui s’épouse et qui vous épouse , écrit Mahir Guven au tout début de son récit, et il poursuit, Il faut croire qu’Istanbul est une histoire d’amour . Ce livre est effectivement une histoire d’amour entre l’auteur—Mahir Guven, écrivain français d’origine turque—et cette ville, Istanbul, qu’il connaît parfaitement pour y être allé tant de fois depuis 25 ans. Il y rencontre des membres de sa famille et de nombreux amis. L’éditeur nous annonce un guide à dévorer comme un roman et, en effet, le lecteur ne sera pas déçu, gagné par l’enthousiasme débordant de vivacité et de tendresse qui habite l’auteur pour cette ville, son histoire millénaire, sa géographie exceptionnelle irriguée par les eaux du Bosphore, ses habitants et ses traditions multiples. À coups d’évocations de son histoire familiale—une famille d’origine populaire et paysanne, appartenant à la minorité religieuse des alévis—il nous présente la ville, nous emmène en balades dans les quartiers de l’ancienne cité et de la nouvelle. Istanbul—trois fois capitale d’empires—est une ville régie par la dualité, brute et douce, chaude et froide, de terre et de mer, une ville d’Orient et d’Europe, très riche et très pauvre, historique, antique et ultramoderne à la fois . Nous découvrons avec lui les transformations mouvementées et inéluctables qui marquent l’histoire de cette ville. Comment comprendre cette ville et ce pays si riches, cette Turquie construite sur les ruines d’un empire multiethnique et pluricentenaire… Née dans le sang en niant la vie et le droit à l’existence d’une partie de ses enfants ? Mahir Guven questionne l’Histoire, Byzance, Constantinople et maintenant Istanbul, ville hantée par un passé glorieux et une modernité incertaine, où il constate que le temps ralentit, l’Istanbul d’hier s’accroche au présent . Voici donc un portrait en forme d’hommage à cette ville et ses habitants, dont l’auteur dépeint les traditions, parfois avec humour, toujours avec tendresse ; qu’il s’agisse de la vie trépidante et bruyante, de la propension des humains à converser— Si vous préférez le silence et fuir la conversation, oubliez Istanbul ! —de la propension à l’humour— on n’hésite pas à parler avec métaphores et blagues —à la débrouille— c’est Robin des Bois qui fume le narguilé, ou comment carotter les bien lotis et l’État, sans se prendre la tête —aux arts de la table, avec lesquels on ne rigole pas et qui possèdent leurs rituels. Évoquer Istanbul, c’est enfin évoquer le Bosphore : Ce n’est pas un fleuve, c’est un détroit. Le passage entre la mer Noire et la Méditerranée. C’est notre prière quotidienne, ce qui nous apaise, donne un rythme à notre vie, et nous rappelle qu’il n’y a pas de terre sans eau, pas de poètes, pas de musiciens, pas de cerisiers et aucune tulipe, sans le Bosphore. À la fin du livre sont proposés 5 itinéraires de visite et une infographie insolite. Merci à Mahir Guven pour ce beau voyage et aux éditions L’arbre qui marche et sa collection Premier voyage, pour voir plus et voyager mieux . Istanbul Mahir Guven Éditions L'arbre qui marche (2025)
par Yves Izard 28 mars 2025
Nous plongeons d’emblée dans ce corps vivant où Adrian avait immédiatement compris qu’elle se trouvait là dans son élément. Cent fois elle avait rêvé qu’elle était dans un sous-marin . Depuis sa première mission elle naviguait sur le HMS Thetys l’un des quatre sous-marins porteurs de missiles nucléaires dont était dotée la Royal Navy . Adrian Ramsay est « oreille d’or », chargée d’écouter et d'identifier les bruits des profondeurs. C’était le seul endroit où elle parvenait à contenir son surcroît d’énergie. C’était d'abord l’aspect technologique qui l’avait enthousiasmée car elle n’avait pas eu d’emblée l’idée de servir la dissuasion nucléaire . Mais elle avait rapidement pris conscience de la complexité du concept, tout à la fois follement brillant et d’une terrifiante ambiguïté. Il s’agissait de protéger une civilisation… Il fallait donc y croire quand bien même on ne partageait pas les couleurs du pouvoir en place . Avec ce roman, Emmanuelle Favier vise dans le mille avec le retour d’une problématique d’une actualité brûlante. Tout en prenant quelques libertés qui sont l’apanage du romancier, elle réussit avec son héroïne à impliquer le lecteur dans les impensés à bord . Ainsi le lancement simulé d'un missile atomique qui n’était pas annoncé comme un exercice , et qui en se répétant plusieurs fois par patrouille , constituait un entraînement technique et intellectuel permettant à chacun de mettre en perspective pourquoi il était là , sans l’écraser sous le poids des conséquences de ce a quoi il œuvrait . En dehors de ces exercices particuliers, ce qui troublait Adrian c’était la présence de ce qui respirait invisible de l’autre côté de la coque, l’œil glauque du requin ; Elle éprouvait les ondes molles des méduses, elle sentait le pouls immense de l’océan comme une nostalgie de brève expérience de plongée sous-marine , où elle avait découvert, à seize ans, cet abandon aux profondeurs et le plaisir psychotrope qui avait quelque chose d’effrayant dont il fallait se méfier . Si l’essentiel de ce qu’elle écoutait lui permettait juste une analyse militaire, à bord du sous-marin condamné à un mouvement perpétuel pour refroidir le cœur nucléaire comme le requin doit nager pour survivre , Il n'en découlait pourtant aucune indignation quant au sort des cétacés désorientés par les sonars et qui s’échouent pour mourir asphyxiés sur les grèves. Jusqu’au jour où elle reconnaît le chant d'une baleine bleu … qui la renvoie vers Moby Dick et son père Ian comme une vague d’anxiété. La baleine, qui suit désormais le sous-marin, c’est aussi le miroir du bateau comme sa version vivante et pure, comme les mâles qui déversent des litres de sperme pour attirer la femelle. Un lien archaïque à travers lequel resurgissent en rêves torrides les pulsions sexuelles qu’elle tentait de dissimuler sur ce sous-marin où la femme était encore considérée comme une anomalie. Tout va basculer après quatre mois de mer, avec la mi-patrouille, le retour à terre qu’Adrian appréhendait toujours un peu . Avec l’annonce de la mauvaise nouvelle qui n’avait pas franchi le filtre des familigrammes, ces messages de quarante mots , que recevaient les marins chaque semaine, et qui excluaient ce qui pouvait menacer l’équilibre de l’équipage, comme l’annonce d'un décès . C'est ainsi que l’État-major lui annonça à son arrivée que son père Ian est décédé pendant la patrouille ! Le monde avait basculé sur son axe . Elle part aussitôt pour cinq heures de route vers le cimetière de son village. Il pleuvait. Enfin le ciel se conformait à son chagrin . Mais comme elle retrouve son chien sur la plage où son Père Ian s'est noyé, elle pense au suicide et culpabilise car en refusant qu’il continue à lui écrire elle avait manqué ses derniers moments . Comme elle s’enfonce dans sa mélancolie , elle finit par décrocher une courte mission plus diplomatique auprès des forces françaises en Bretagne… Une escapade qui va bouleverser sa vie. Et le roman va prendre une toute autre tournure. À terre, Adrian Ramsay avait jusqu’alors réussi à canaliser son énergie en choisissant des amants de passage dans l’obscurité des pubs , et quand elle avait la faiblesse de les ramener chez elle, ils étaient renvoyés sitôt leur mission accomplie. Elle s’était fermée à l'amour … et au désir d’enfant, au prétexte de sa carrière . Cette nuit à Brest va contre toute attente la précipiter dans ses habitudes oubliées des aventures nocturnes dans les bars à marins. Sauf que cette fois se donner au premier venu allait changer son destin. Le talent d’Emmanuelle Favier tient aussi dans la construction de l’intrigue où le lecteur connaît déjà depuis plusieurs chapitres, comme si une autre histoire était enchâssée dans le roman, les deux hommes qui vont bouleverser la vie d'Adrian. Arthur, le plongeur scientifique, et photographe traumatisé, et Abel l’aveugle pervers narcissique qui va séduire Adrian dans une histoire dont elle dira ce n’était pas de l’amour. C’était beaucoup plus violent que de l’amour . Une ultime mission militaire ne changera rien à l’affaire d’autant qu’elle fut abrégée suite à une violente bagarre entre marins, et comme si une malédiction poursuivait Adrian, sonna la fin de sa carrière. L’issue fut qu’à peine débarquée en Écosse, elle repartit pour retrouver Abel accompagné par Arthur en Catalogne. Il avait parlé de voir la tombe du poète Antonio Machado, à Collioure et surtout d’aller chez lui, au petit village de Colera, d’où il serait originaire. Pouvait-elle imaginer ce Noël d’une tristesse infinie où l’on comprend enfin cette énigmatique prose poétique comme un prologue au roman que l’on retrouve comme un épilogue, où tout finit sur cette plage dans le délire d'un spectre amoureux qu’on identifie sans peine. Écouter les eaux vives Emmanuelle Favier Éditions Albin Michel (2025)
par Jean-Renaud Cuaz 25 mars 2025
C’était Mardi Gras. Du fond de l’horizon, un grain s’était levé. L’aube peinait à percer, une corne de brume lançait sa détresse à cris étouffés. Un marin râblé au regard minéral tentait d’accoster à grands coups de barre, fendant l’épais brouillard sous une grêle d’injures. Sur la grève, une frêle silhouette toute emmitouflée de noir contemplait la mer, immergée dans une anxieuse attente. Chapeau et poings enfoncés, épaules et châle relevés, les sabots arrimés au sol détrempé, le spectre penché vers l’avant résistait de toutes ses dernières forces contre vents et marées. Les haubans gémissaient, les goélands se déportaient, des rafales de plus en plus violentes secouaient à grands fracas l’esquif que le marin avait peine à maîtriser, au risque de se briser contre le quai. Soudain, comme un mirage au sein de l’apocalypse, le ciel tout entier se pourfendit et une lumière crue déchira l’espace. Un sablier de silence s’écoula, suspendu au Temps. D’un lointain hublot parvint un cri désespéré. « Brin de brin, juste quand la mer monte ! J’ai honte, j’ai honte ! hurla le projectionniste tout en affaires. La bobine est cassée, le bar est ouvert. Vingt minutes d’entracte ! » Dans un concert de claquements de fauteuils, le public se leva comme un seul homme, qui en maugréant, qui en riant de bonne humeur à cette interruption inopinée, et tout ce petit monde se dirigea vers le débit de boisson jouxtant le tourniquet de la porte d’entrée. Derrière le zinc des Copains D’Abord, Marcel, casquette vissée sur un sourire jovial et torchon à carreaux sur l’épaule, accueillit non sans quelques borborygmes la marée qui s’engouffrait dans son antre. Deux secondes plus tôt, il sifflotait à l’idée de se rentrer tranquillement à la pointe courte en passant dire un petit bonsoir à Jeannot, histoire de se mettre d’accord sur leur départ à la pêche du dimanche. Et maintenant le voilà tout tourneboulé à servir demis, perroquets, noisettes, ballons de blanc et de rouge tout en calculant les additions de tête, cassant les billets et grattant les fonds de tiroir-caisse pour rendre la monnaie sur les soucoupes en bakélite. « Y pourraient pas se contenter de s’en griller une sur le trottoir au lieu de se ruer sur moi comme s’ils venaient de traverser le désert marocain ? » grommelait-il en s’épongeant le front tout en sueur avec son torchon à vaisselle. À peine la sonnerie avait-elle grésillé que le tsunami se retira aussi vite qu’il avait ravagé les lieux. Le temps d’un soupir, la tintamarresque tornade fit place à un silence de lendemain de tempête, laissant parsemés çà et là des épaves de vaisselle, des biscuits, des serviettes froissées, des coquilles d’oeufs durs et des grains de sel. Tel un moussaillon de corvée sur le pont d’un chalutier, il empoigna brosse et serpillère en jurant qu’on ne l’y reprendrait plus jamais à oublier d’éteindre les néons dès le début des séances. Il venait de sonner dix heures à l’église lorsqu’enfin Marcel baissa le rideau. En se relevant, il aspira une grosse bouffée d’air marin quand une musique lointaine lui parvint, portée par le léger souffle du soir. « Tiens, samedi, çà doit être la guinguette à Neuneu ! » Il prit débonnairement la direction de ses pénates et constata que la rengaine le poursuivait, s’amplifiait, le happait pour ainsi dire, bientôt martelée par la grosse caisse, portée par les trompettes, les cymbales et les flonflons. Au détour de la rue des mouettes, il tomba nez à nez avec la fanfare municipale, menée tambour battant par Zénobe Bouchat, le vétéran à qui il restait encore un oeil, mais dont les oreilles lui jouaient visiblement quelques entourloupes. À sa suite, une cohorte de joyeux drilles s’escagassait tel un cortège de carnaval peint par Ensor, que Marcel tenta de pourfendre. Mais bien vite, il se sentit submergé par le flot humain en liesse et se vit transporté contre son gré en direction du phare, sans même que ses pieds ne touchent le sol. N’aspirant qu’à retrouver son havre de paix, il déploya toutes ses forces à s’en défendre. Hélas, au coeur des cris et des rires qui lui parvenaient étouffés, sa moustache se tortilla et sa bouche grande ouverte se figea sans ne proférer plus aucun son. En un éclair, une enclume s’enfonça dans sa poitrine, un grain de sable enraya son cerveau. Enfin, un siphon de confettis multicolores eut raison de lui. Sans mot dire, léger comme une plume au vent, Marcel s’envola pour de bon et atterrit à quelques encablures de là dans le cimetière des marins. Au bar des Copains D’abord ne subsiste aujourd’hui qu’un petit écriteau : commerce à remettre, sonnez en face . Martine Hébette
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